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Proposition de loi visant à renforcer la lutte contre la corruption - Que faut-il attendre de la loi Sapin III ?

Compliance

Yanisse Benrahou
LE JOURNAL

On October 19, 2021, the deputy Mr. Raphaël Gauvain submitted to the French Parliament a bill to strengthen the fight against corruption. In addition to the elements relating to the corruption prevention program, the proposal also refers to other tools as the French prosecution agreement or internal investigations. This article aims to expose the contributions of this so called Sapin III Law.

AN, prop. de loi n° 4586, 19 oct. 2021


1. Les propositions relatives au programme de prévention de la corruption

Le partage des armes entre l'AFA et la HATVP. - L'adoption de la proposition de loi sonnerait le glas des prérogatives de contrôle des acteurs publics de l'Agence française anticorruption (AFA). L'article 3 de la loi Sapin II, qui définit les missions de l'AFA, ne viserait alors plus que les « acteurs économiques » et son périmètre serait étendu aux filiales appartenant à un groupe de sociétés dont l'effectif comprend au moins 500 salariés et dont le chiffre d'affaires consolidé est supérieur à 100 millions €, même lorsque leurs sièges sont situés à l'étranger.

Le contrôle du programme de prévention de la corruption des personnes publiques serait alors dévolu à la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP). La proposition de modification de l'article 20 de de loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013 impliquerait ainsi de charger la HATVP de l'élaboration des recommandations en matière de prévention de la corruption « à l'attention de l'ensemble des personnes morales de droit public ainsi que toute entité dont le ou les dirigeants sont soumis aux obligations de déclaration de situation patrimoniale ou d'intérêts ».

L'obligation pesant sur les personnes publiques de se doter d'un programme de prévention de la corruption ne serait plus seulement fondée sur ces recommandations. En effet, un nouvel article 18-11, ajouté à la loi du 11 octobre 2013, propose une transposition au secteur public de l'article 17 de la loi Sapin II. Toutefois, ces contrôles ne pourront toujours pas aboutir à d'autres sanctions que la publication du rapport de contrôle Note 1 .

En plus d'opérer une répartition nouvelle des compétences en matière de prévention des manquements au devoir de probité, la proposition se fait l'écho des préconisations de la HATVP, qui souhaite disposer d'un « pouvoir de sanction autonome »Note 2 . Il est donc proposé de modifier l'article 25-1 afin de permettre à la HATVP d'assortir les mises en demeures adressées aux représentants d'intérêts, d'astreintes dont la non observation pourrait aboutir à une sanction pécuniaire prononcée par la nouvelle commission des sanctions de la HATVP.

Des propositions éloignées des travaux d'évaluation de la loi Sapin II. - La première version de la proposition de loi, diffusée avant le dépôt du texte à l'Assemblée nationale, préconisait la création d'une nouvelle Haute autorité pour la probité (HAP), produit de la fusion entre la HATVP et les prérogatives de contrôle dévolues à l'AFA.

Il ressort notamment du rapport d'information sur l'évaluation de l'impact de la loi Sapin 2 Note 3 , présenté par Raphaël Gauvain et Olivier Marlex le 7 juillet dernier, que le choix d'une AFA « à double visage », pour reprendre les termes employés par Michel Sapin, a conduit « à surinvestir la mission de contrôle au détriment de la programmation stratégique » de la lutte contre la corruption.

Le rapport d'information insiste sur les difficultés induites par la tutelle ministérielle. En effet, l'AFA ne dispose pas de la personnalité juridique et doit donc effectuer ses missions sans autonomie budgétaire. L'insuffisance des moyens de l'AFA aurait ainsi nui au bon fonctionnement de l'entité en pesant sur « sa capacité à maintenir le rythme de contrôle initié en 2018 » tout en rigidifiant la nature des contrats de recrutement proposés « au risque de faire échouer des recrutements pourtant pertinents ».

Les rapporteurs de la commission proposaient donc de créer une HAP en reléguant l'AFA aux fonctions occupées par son prédécesseur, le service central de prévention de la corruption, institué par la loi n° 93-122 du 29 janvier 1993, dite loi « Sapin I ».

La proposition retient pourtant le choix surprenant de préserver les pouvoirs de contrôle et de sanctions de l'AFA tout en portant atteinte à sa nature « semi-indépendante ». En effet, en refusant de lui attribuer le statut d'autorité administrative indépendante entraînant l'application des garanties issues de la loi n° 2017-55 du 20 janvier 2017, le législateur de 2016 avait construit la relative indépendance de l'agence en partie fondée sur la nomination à sa tête d'un magistrat hors hiérarchie, irrévocable, pour une durée de 5 ans. Or, la proposition de loi ne retient pas ces garanties : le directeur, dont le titre n'est plus spécifié, ne serait plus nommé que pour un mandat de 4 ans révocable.

Il convient d'espérer qu'une telle répartition des compétences sera placée sous le signe de la coopération entre l'AFA et la HATVP.

2. Les propositions connexes

Le renforcement de la transparence dans le secteur public. - La proposition de loi vise également à compléter le Code général des collectivités territoriales afin de rendre obligatoire pour les communes, départements, régions et établissements publics de coopération intercommunale, la publication d'un rapport spécial relatif aux « initiatives prises pour mettre en œuvre les mesures de prévention et détection des faits de corruption ».

En plus de renforcer les incitations à la mise en conformité des personnes publiques, ces nouvelles obligations participeraient à renforcer la possibilité d'un contrôle démocratique local tout en fournissant des informations extrafinancières que les acteurs économiques pourront mobiliser dans leurs programmes d'évaluation des risques issus des relations entretenues avec le secteur public.

Les apports en matière de procédure pénale. - Le texte comporte un article 6 relatif à « la justice négociée », visant à faciliter le recours à la convention judiciaire d'intérêt public (CJIP). Celui-ci modifie notamment l'article 41-1-2 du Code de procédure pénale en ajoutant le délit de favoritisme au champ des infractions concernées par la CJIP. Cet article permettrait également d'étendre la durée maximale de la peine de mise en conformité de 3 à 5 ans, tout en offrant la possibilité au procureur de proposer ultérieurement une prolongation de la durée du programme. La nouvelle version de la CJIP offrirait à la personne morale concernée par la mesure, le droit d'être informée par le procureur de l'intention de proposer une transaction et de consulter son dossier afin de pouvoir formuler des observations. Dans cette optique de renforcement du contradictoire, il est proposé de permettre la désignation d'un mandataire ou d'un comité spécial pour représenter la personne morale au cours « de la période de négociation ».

Tout en permettant aux mandataires désignés dans le cadre d'une CJIP de diligenter une enquête interne, l'article 7 de la proposition vise à encadrer les enquêtes internes effectuées à la suite de la mise en cause délictuelle de la personne morale. En plus de rendre obligatoire l'information au procureur de l'ouverture d'une telle enquête, la texte viendrait entériner une pratique déjà développées par certaines sociétés Note 4 consistant à appliquer le contradictoire et les droits de la défense aux auditions et procès-verbaux effectués dans ce cadre.

Enfin, la proposition entraînerait une consécration de la responsabilité pénale des personnes morales lorsqu'un défaut de surveillance a conduit à la commission d'une infraction par leurs salariés. Cette disposition constitue une incitation majeure pour les sociétés à se doter d'un programme de prévention des risques juridiques.

3. Conclusion

La proposition déposée par Monsieur le député Raphaël Gauvain le 19 octobre 2021, ne reprend que partiellement les préconisations de son rapport d'évaluation de l'impact de la loi Sapin II. La HAP ne devrait finalement pas voir le jour et une AFA, moins indépendante du Gouvernement, conserverait ses prérogatives à l'égard des acteurs économiques. Alors que le cabinet du ministre de l'Économie et des Finances assurait, dans une réponse adressée à Transparency International France le 14 octobre 2021, que « la proposition de loi serait étudiée avant la fin de la législature » Note 5 , il semble désormais très peu probable que le texte soit inscrit à l'ordre du jour des assemblées avant le mois de mars 2022, date à laquelle les travaux seront levés.

Mots clés : Lutte contre la corruption. - Proposition de loi. - Sapin III

Note 1 V. F. Jourdan et Y. Benrahou , Prévention de la corruption à la CCI Nice Côte d'Azur : un rapport confidentiel qui fait du bruit : JCP A 2021, act. 608.

Note 2 V. Entretien avec D. Migaud, Nous souhaitons disposer d'un pouvoir de sanction propre : Le Monde, 21 juill. 2020.

Note 3 V. AN, rapp. inf. n° 4325, 7 juill. 2021.

Note 4 V. F. Jourdan et T. Magloire Traoré, Comment mener une enquête interne ? : JCP A 2021, 2281.

Note 5 V. Anti-corruption : le cabinet de Bruno Le Maire donne son feu vert pour une loi Sapin 3 : La Lettre A, 20 oct. 2021.

Revue Internationale de la Compliance et de l'Éthique des Affaires n° 6, Décembre 2021, comm. 271