JOURNAL

Projet de loi portant lutte contre le dérèglement climatique : les marchés pour le climat

Commande publique

Fleur Jourdan et Yanisse Benrahou
LE JOURNAL

Une proposition de la convention citoyenne pour le climat relative aux marchés publics a été reprise dans le projet de loi « portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets » (JCP A 2021, act. 128). - Cette disposition prévoit de rendre obligatoire le critère environnemental dans la commande publique. - L'abandon du critère unique du prix constitue une petite révolution qui soulèvera sans doute des difficultés d'application

En vertu du principe de neutralité de la réglementation des marchés publics, « la dépense publique qui s'effectue à l'occasion d'un marché ne doit pas être l'instrument d'autre chose que la réalisation du meilleur achat au meilleur coût » (Concl. D. Piveteau, sur CE, sect. 25 juill. 2001, n° 229666, Cne Gravelines : JurisData n° 2001-062795). Pourtant, force est de constater que l'achat public est souvent appelé au soutien d'ambitions publiques plus larges que la seule maitrise de la dépense publique.

Alors que la lutte contre le réchauffement climatique est devenue « l'affaire du siècle » (L. Erstein., L'affaire du siècle : le préjudice écologique à la mode du contentieux administratif JCP A 2021, act. 103), les marchés publics ne pouvaient plus être gardés à l'écart de l'effort collectif en matière environnementale.

La commande publique, qui représente 8 % du PIB et 200 milliards d'euros par an, s'était déjà progressivement imposée comme un secteur ne pouvant échapper aux politiques publiques de lutte contre le réchauffement climatique.

Des dispositifs favorisant la prise en compte de la protection de l'environnement avaient été intégrés au droit des marchés publics français à la faveur de la directive européenne 2004/18/CE du 31 mars 2004. Le Code des marchés publics avait alors autorisé les considérations environnementales comme critères d'attribution, à condition d'établir un rapport avec l'objet du marché.

Le code de 2006, qui imposait la prise en compte du développement durable dès la définition des besoins, prévoyait que les préoccupations environnementales puissent être intégrées dans le processus d'achat à différentes étapes du marché. Cette prise en compte des aspects environnementaux dans les marchés publics avait encore été largement renforcée par les lois Grenelle I et II.

Le décret n° 2011-1000 du 25 août 2011 avait ensuite introduit la possibilité de conclure des contrats globaux de performance, dans lesquels le titulaire s'engage notamment en matière d'efficacité énergétique ou d'incidence écologique.

Le Plan national de lutte pour des achats publics durables pour la période 2014-2020 avait quant à lui fixé un objectif de 30 % de marchés publics intégrant une clause environnementale.

Pour autant, les résultats de ces politiques volontaristes se sont révélés relativement décevants et il apparaît que seuls 13,6 % des marchés recensés en 2018 contenaient une telle clause. Ces insuffisances semblent justifier l'édiction de cette nouvelle obligation visant à verdir encore l'achat public.

C'est la raison pour laquelle la convention citoyenne pour le climat a proposé de rendre obligatoires les clauses et critères environnementaux dans les marchés publics. Cette proposition figure au rang de celles (rares) retenues par le Gouvernement et a été introduite à l'article 15 du projet de loi « portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets ».

En énonçant une obligation de prise en compte des critères environnementaux dans les marchés publics (1) , l'article 15 interdit désormais le recours au critère du prix unique (2) . Il conviendra de compléter cette mesure de dispositifs permettant d'accompagner les pouvoirs adjudicateurs et entité adjudicatrices, dans la mise en œuvre d'un achat public totalement vert (3) .

1. Les marchés publics, outils privilégiés de l'économie verte

Le projet de loi propose de modifier l'article L. 2112-2 du Code de la commande publique afin de rendre obligatoire la prise en compte de considérations relatives à l'environnement dans les conditions d'exécution du marché. L'article L. 2152-7 du même code fait également l'objet d'une proposition de modification afin d'intégrer au moins un critère environnemental à la procédure de sélection.

Les marchés publics de défense ou de sécurité et les concessions sont néanmoins exclus de la proposition. L'exclusion des marchés publics de défense ou de sécurité n'est pas motivée par l'étude d'impact mais la singularité de ces achats semble justifier, au moins à court terme, cette exception. En revanche, les explications fournies pour justifier l'exclusion des concessions souffrent de lacunes qu'il convient d'évoquer.

Il apparaît d'abord contestable de mettre en avant les chiffres de la commande publique pour ne viser ensuite que les marchés publics. De plus, le Gouvernement justifie la non-application de la mesure aux concessions par un contexte réglementaire constitué de nombreuses obligations sectorielles impliquant la prise en compte de considérations environnementales. En d'autres termes, cette exclusion devrait permettre d'éviter les doublons. Or, dans le cadre des marchés publics, l'étude d'impact énonce qu'il « importe de comptabiliser au titre des marchés satisfaisant les exigences [de la proposition] tous les marchés comportant de telles clauses ou de tels critères, y compris dans les situations où ces clauses ou critères ne feraient qu'appliquer les exigences réglementaires ». Le Gouvernement souligne « qu'il sera à terme difficile de trouver un objet à ces clauses et critères qui ne serait pas la résultante d'une réglementation ».

L'exclusion des concessions serait une reprise de la proposition de la convention citoyenne. La mesure PT.7.1 ne visait déjà que les marchés publics et ce choix n'avait fait l'objet d'aucune justification. Certains parlementaires ne manqueront pas de souligner ces incohérences.

La proposition de la convention citoyenne comprenait également une nouvelle hiérarchisation des critères. Les 150 citoyens avaient suggéré de modifier l'article L. 2124-2 du Code de la commande publique afin de contraindre les acheteurs à sélectionner l'offre économiquement « et écologiquement » la plus avantageuse. De plus, les critères environnementaux obligatoirement pris en compte lors de la sélection devaient compter, au minimum, pour 20 % de la note.

Le Gouvernement fait néanmoins le choix de rester silencieux sur la question de la hiérarchisation et de la pondération des critères environnementaux. Cette sécurité rédactionnelle, sans faciliter la tâche des acheteurs publics, ne satisfera pas totalement aux exigences écologiques nouvelles.

2. La fin du critère unique du prix

L'obligation de prise en compte de conditions d'exécution et de critères environnementaux semble être cohérente du point de vue des évolutions la théorie économique. Inclure les externalités dans le choix de l'offre économiquement la plus avantageuse constitue un progrès nécessaire, abandonnant le prisme unique du prix dont les limites font aujourd'hui l'objet d'un consensus.

Des clauses progressivement admises deviendraient obligatoires pour l'ensemble des entités adjudicatrices et pouvoirs adjudicateurs français. Dès lors, les incertitudes juridiques qui accompagnent encore la prise en compte des préoccupations environnementales ne seraient plus l'apanage des acheteurs publics volontaires.

Toutefois, et même devenues obligatoires, ces clauses et critères ne seraient pas pour autant allégés du régime juridique qui les encadre.

En effet, ceux-ci devront a priori toujours être liés à l'objet du marché ou ses conditions d'exécution.

Les critères environnementaux devront également respecter le principe de non-discrimination et permettre le choix de l'offre économiquement la plus avantageuse sur la base de critères objectifs et précis. Les critères écologiques ne doivent donc pas conférer à l'acheteur public une liberté inconditionnée de choix (CE, 25 mai 2018, n° 417580, Nantes Métropole : JCP A 2018, 2231 ; JCP A 2018, act. 494 ; Contrats-Marchés publics 2018, comm. 155, comm. J.-P. Piétri ; Énergie-Env.-Infrastr. 2018, comm. 45, note A. Fourmon).

Dans son étude d'impact, le Gouvernement souligne, par une tournure déconcertante, l'existence de ces contradictions potentielles : « Dans l'hypothèse, essentiellement théorique, où aucun lien avec l'objet du marché ne serait démontré, les acheteurs devraient s'abstenir d'intégrer un critère et une clause environnementales, au risque de porter atteinte au droit européen et au droit national de la commande publique ».

C'est surtout la notation des offres qui pourra poser des difficultés. Le projet de loi, rendra impossible le recours au critère unique du prix pour les marchés publics. Pour satisfaire à de telles obligations, il conviendra, si le dispositif est adopté, de prendre en compte au moins un critère permettant de valoriser les aspects écologiques des offres. Pour autant, aucune indication nouvelle quant à la pondération du critère n'accompagne la loi. Or, la jurisprudence encadre le recours à de tels critères dont le poids doit demeurer marginal (CJCE, 26 sept. 2000, aff. C-225/98, Commission c/ République Française). Le juge administratif a pu valider un critère valorisé à hauteur de 15 % (CE 25 mars 2013, n° 364950, Dpt de l'Isère : Lebon JCP A 2013, act. 316, obs. L. Erstein, et JCP A 2013, 2150, note F. Jourdan).

Quant aux clauses environnementales, là encore, elles deviendraient obligatoires sans que leur contenu ne soit précisé.

Contraints d'inclure des considérations environnementales dans leurs marchés, les acheteurs publics le feront encore sur la base de considérations éthiques. À défaut de précisions complémentaires, les pouvoirs adjudicateurs et entités adjudicatrices devront donc établir eux-mêmes l'intensité avec laquelle ils tiendront compte de l'environnement dans leurs achats, avec pour seule autre contrainte, une pondération plafonnée.

3. Des solutions encore à élaborer

L'entrée en vigueur de la mesure est prévue à une date fixée par décret et au plus tard à l'issue d'un délai de 5 ans. La longueur de ce délai, négligeant peut-être les retards déjà constatés, est justifiée par un alignement avec le prochain plan national d'action pour les achats publics durables.

Ces 5 années, à défaut d'évoquer une urgence écologique, pourront néanmoins laisser le temps aux acheteurs publics de se former à la prise en compte des considérations environnementales dans les marchés publics. En effet, bien que la jurisprudence ait sécurisé le principe d'un recours aux critères environnementaux et sociaux (CE 25 mars 2013, n° 364950, Dpt de l'Isère, préc.) les outils et méthodes de valorisation extra financières et de calcul des coûts de cycle de vie se font encore attendre (Ph. Cossalter, Le coût du cycle de vie, nouveau Graal des acheteurs publics ? : Contrats-Marchés publ. 2014, dossier 10).

En ce sens, la convention citoyenne pour le climat proposait, de « mettre en place un réseau de « référents » pour aider les donneurs d'ordres publics à rédiger leurs marchés et aux candidats à y répondre en respectant les clauses environnementales ». À ce stade, il n'est pas possible de connaître des suites qui seront données à cette proposition. En tout état de cause, il faudra nécessairement compléter, une éventuelle obligation de prendre en compte des clauses et des critères environnementaux, de dispositifs visant à accompagner les acheteurs publics dans la transition écologique. Il serait regrettable que l'éventuelle volonté des acheteurs publics se trouve freinée par des difficultés techniques ou juridiques pour lesquelles des réponses existent.

Il convient de rappeler que pour les contrats soumis à des obligations sectorielles impliquant la prise en compte de critères environnementaux, tels que l'achat public de véhicules à moteur ou la fourniture de repas de restauration collective dont les personnes publiques ont la charge, la précision des obligations permet déjà aux acheteurs une plus grande sécurité juridique.

Pour les contrats ne disposant pas de tels compléments réglementaires, il conviendra de sécuriser, dans la limite du droit positif, le recours à des clauses et critères environnementaux. Pour le moment, les acheteurs publics peuvent s'appuyer sur des méthodes déjà pratiquées. Les différentes présomptions de lien avec l'objet du marché posées par l'article L. 2112-3 du Code de la commande publique, conjuguées aux pratiques des acheteurs, parfois reprises dans des outils tels que des guides, fournissent des indications facilitant un achat public verdi :

L'achat public : une réponse aux enjeux climatiques, octobre 2016 (https ://www.economie.gouv.fr/daj/guide-climat)

Guide sur les clauses environnementales dans les opérations de travaux de bâtiment (http://www.paca.developpement-durable.gouv.fr/IMG/pdf/Guide_Clauses_Environnementales_Travaux_Bat_Dec_14_cle738c31.pdf)

L'achat public durable, Guide pratique (https ://www.economie.gouv.fr/daj/Guide-de-l-achat-public-durable-Qualite-environnem)

Min. Écologie, Développement durable et Énergie, 28 janv. 2015

Guide ADEME de l'Achat Public (https ://www.economie.gouv.fr/files/files/directions_services/daj/marches_publics/oeap/gem/guide-climat/guide-climat.pdf)


La Semaine Juridique Administrations et Collectivités territoriales n° 9, 1er Mars 2021, act. 157