JOURNAL

Plaisir d'offrir... en toute conformité

Lutte contre la corruption

Fleur Jourdan
LE JOURNAL

As the end of the year celebrations approach, the question of corporate gifts will arise, as it does every year. What can we offer? What can we accept? What should we refuse? There is no general rule but each entity must set its own doctrine, more or less precise. The AFA has just published guidelines that could help companies to define their own policy.

AFA, Guide pratique sur la politique cadeaux et invitations dans les entreprises, les EPIC, les associations et les fondations,11 sept. 2020

 

Note :

1.  Pourquoi un guide sur les cadeaux et invitations ?

 

Initialement, le rapport de 2011de la Commission de réflexion pour la prévention des conflits d'intérêts dans la vie publique (1) proposait d'inscrire dans la loi « une règle interdisant les cadeaux, libéralités et invitations aux acteurs publics, à l'exception de l'hospitalité conventionnelle et des cadeaux mineurs, d'une valeur inférieure à un seuil fixé par décret, qui pourrait être fixé à 150 € », excluant ainsi « les cadeaux de politesse et de souvenir échangés à l'occasion d'une réunion officielle ou de contacts protocolaires, nécessités par les besoins du service ». Mais dans la loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique (2),le législateur n'a finalement retenu aucune règle de prohibition générale des cadeaux ou invitations.

 

Plus tard, les dispositions du II de l'article 17 la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, dite loi Sapin 2 (3), ont obligé certaines entreprises (4) à élaborer un « code de conduite » pour lutter contre la corruption. Le contenu de ce code a été éclairé par les recommandations l'Agence française anticorruption(AFA). Il doit être clair, sans réserve et sans équivoque. Il définit et illustre les différents types de comportements à proscrire comme étants susceptibles de caractériser des faits de corruption.

 

Si le code de conduite ne contient pas nécessairement de dispositions sur les cadeaux et invitations, c'est bien en son sein qu'une politique cadeaux peut trouver sa place.

 

C'est la raison pour laquelle le 11 septembre dernier, l'AFA a publié un guide intitulé « La politique cadeaux et invitations dans les entreprises, les EPIC, les associations et les fondations ». Ce guide a été mis à jour pour tenir compte des observations transmises suite à la consultation publique ouverte à ce sujet en juillet 2019, notamment par des fédérations professionnelles.

 

Le projet initial de 21 pages a été substantiellement rétréci à 13 pages et surtout l'AFA insiste désormais sur le fait que les cadeaux sont des « libéralités qui, en soi, ne heurtent ni la loi ni la morale», et qu'il s'agit bien d'« actes ordinaires de la vie des affaires» qui « ne constituent pas, en tant que tels, des actes de corruption». À la suite des différentes critiques formulées, l'Agence insiste donc désormais sur le fait que les cadeaux et invitations ne sont pas des actes répréhensibles par principe.

 

Toutefois et dès lors que ces cadeaux ou invitations sont offerts ou reçus en vue d'obliger le bénéficiaire et le conduire à trahir les intérêts dont il est chargé, ces cadeaux peuvent caractériser des actes de corruption ou de trafic d'influence que ceux-ci soient actifs ou passifs.

 

Pour rappel, ce risque résulte de l'application de dispositions pénales. L'article 432-11, 1° du Code pénal précise en effet qu'est puni de dix ans de prison et 1 000 000 euros d'amende le trafic d'influence, c'est-à-dire les « offres, promesses, dons, présents ou avantages quelconques » sollicités ou réclamés par une personne dépositaire de l'autorité publique. Les mêmes peines sont encourues par les personnes qui proposent ou procurent ces offres, promesses, etc.

 

La jurisprudence établit une distinction entre cadeaux d'usage et cadeaux de valeur. Les premiers concernent des présents ou invitations de faible montant (moins de 50 euros en général) tels que chocolats, fleurs, agendas, objets publicitaires (stylos, porte-clefs, invitation à boire un café, etc.). Ces dons ne sont pas assimilés à de la corruption.

 

À l'inverse, voyages, bijoux et bien sûr espèces peuvent faire courir le risque d'une condamnation. L'interdiction est valable qu'il s'agisse de cadeaux achetés par l'entreprise ou de biens lui appartenant.

 

Même s'il ne s'agit pas d'une obligation pour les entreprises au titre des dispositions de l'article 17 de la loi Sapin 2, il peut donc être utile, afin de prévenir tout risque de corruption et d'aider les salariés à agir conformément à ces règles, d'adopter une politique cadeaux et invitations dans son entreprise.

2.  Conseils pratiques pour l'élaboration d'une politique cadeaux et invitations

 

La politique cadeaux doit encadrer la question des cadeaux, invitations et gratuités (nature, montant, fréquence, provenance, etc.). Pour l'élaborer, le guide ici commenté recommande de s'appuyer fortement sur la cartographie des risques qui identifie les secteurs d'activité ou géographiques qui présentent des risques particuliers pour l'entreprise.

 

Il convient ensuite de déterminer précisément qui est concerné par la politique cadeaux et invitations mise en place. Destinée en principe aux membres des instances dirigeantes, elle peut être renforcée pour les personnes « à risque », par exemple les responsables des services achats.

 

Pour définir sa politique en matière de cadeaux ou d'invitations, l'entreprise est incitée à prendre en compte trois considérations :

  Sa finalité  : la sollicitation ou l'acceptation d'un cadeau ne doit pas être envisagée comme la contrepartie d'une action ou d'une abstention. Ils doivent être justifiés par un motif professionnel en lien avec l'activité du bénéficiaire ou s'inscrire dans le cadre d'une politique de l'organisation.

         Sa valeur  : il peut s'agir d'un seuil, d'une fourchette ou d'un qualificatif (« symbolique, raisonnable, modique, faible » par exemple). Le montant le plus souvent retenu est celui de150 euros (5).

         Sa fréquence  : l'entreprise peut, par exemple, fixer un nombre maximal de cadeaux et d'invitations pouvant être reçus d'un même tiers par une même personne au cours d'une période déterminée.

 

Enfin, l'organisation peut mettre en place un processus de validation hiérarchique pour l'acceptation de certains cadeaux. Il peut également être particulièrement vertueux de se doter d'un registre des cadeaux et invitations.

 

L'AFA recommande d'articuler cette politique cadeaux avec le code de conduite et les autres dispositifs du programme de conformité mis en place.

 

Ce guide cadeaux doit être communiqué en interne et constitue un des éléments auxquels seront formés les employés. Il est également recommandé d'en faire un outil de communication externe dans les relations avec les usagers, les fournisseurs et, plus généralement, les partenaires de l'organisation concernée en le publiant par exemple sur son site Internet.

 

Surtout, l'entreprise doit mettre en place un système de contrôle pour garantir l'effectivité de la politique cadeaux mise en place. Ce contrôle prend trois formes : le contrôle hiérarchique, le contrôle comptable et l'éventuel contrôle par un service d'audit interne.

 

Même si l'absence de politique cadeaux ne saurait constituer un « manquement» au regard des obligations posées par la loi Sapin 2, en cas de contrôle, l'AFA vérifiera que tous ces points ont bien été mis en place dans l'hypothèse de l'adoption d'une politique en la matière.

Note 1 V. CE, Commission de réflexion pour la prévention des conflits d'intérêts dans la vie publique, Rapp., 26 janv. 2011.

Note 2 JO 12 oct. 2013,texte n° 2.

Note 3 JO 10 déc. 2016,texte n° 2.

Note 4 Il s'agit des entreprises dont l'effectif comprend au moins500 salariés et qui réalisent un chiffre d'affaires consolidé supérieur à 100millions d'euros.

Note 5 V. CE, Commission de réflexion pour la prévention des conflits d'intérêts dans la vie publique, Rapp. préc.

Revue Internationale de la Compliance et de l'Éthique des Affaires n° 6, Décembre 2020, comm. 238