JOURNAL

Contrats / Commande publique - Codification de la procédure d'auto-apurement : l'exclusion de la commande publique, ce n'est pas automatique.

Commande publique

Yanisse Benrahou
LE JOURNAL

L’article 15 de la loi du 29 mars 2023 codifie le mécanisme d’auto-apurement permettant à un candidat, ayant fait l’objet d’une condamnation définitive pour des manquements graves, de ne pas être exclu de la commande publique en démontrant sa fiabilité. Dans le cadre de cette transposition des directives marchés et concessions de 2014, le législateur fait le choix d’un mécanisme décentralisé. En effet, l’évaluation de la fiabilité des opérateurs économiques est laissée à la main des acheteurs et autorités concédantes. Par ailleurs, ces évaluations entraînent un risque contentieux, dans la mesure où des recours peuvent être effectués par les opérateurs économiques qui présentent des mesures correctrices jugées insuffisantes, ou par les tiers non retenus à l'issue de la procédure, si les mesures correctrices présentées par leurs concurrents ont été, à l’inverse, jugées suffisantes.

1. - L'article 15 de la loi du 9 mars 2023 portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne Note 1 a modifié certaines dispositions du Code de la commande publique (CCP) relatives à l'exclusion des candidats condamnés pour des infractions graves. Contenu dans un chapitre 3 consacré à la mise en conformité à la suite de décisions de justice, cet article 15 tire les conséquences de deux arrêts de la Cour de justice de l'Union européenne Note 2 et du Conseil d'État Note 3 ayant constaté l'inconformité du droit de la commande publique français avec les directives européennes. Pour rappel, les articles L. 2141-1, L. 2341-1 et L. 3123-1 prévoient une exclusion de plein droit pour les personnes condamnées définitivement aux infractions ainsi qu'au recel des infractions visées à ces mêmes articles. Cette exclusion s'applique pour une durée de 5 années après la condamnation, à moins qu'une décision de justice définitive prononce une peine différente. Or, l'article 38, § 9 de la directive 2014/23/UE et l'article 57, § 6 de la directive 2014/24/UE disposent que tout opérateur économique qui a été condamné pour des infractions justifiant une exclusion de la procédure, peut fournir les preuves permettant d'attester que les mesures qu'il a prises suffisent à démontrer, malgré l'existence d'une condamnation, sa fiabilité. Dans l'hypothèse où ces preuves sont jugées suffisantes, l'opérateur économique concerné n'est pas exclu de la procédure. Ce mécanisme n'est toutefois pas ouvert aux opérateurs économiques qui ont été exclus, par un jugement définitif, de la participation à des procédures de passation de marché ou d'attribution de contrats de concession pendant la période d'exclusion fixée par ledit jugement et dans les États membres où le jugement produit ses effets Note 4 . La France avait cependant fait le choix de ne pas transposer le mécanisme de mesures correctives, pour les infractions visées aux articles L. 2141-1 et L. 3123-1 du CCP., telles que la participation à une organisation criminelle, la fraude, la corruption, les infractions terroristes ou celles liées aux activités terroristes, le blanchiment de capitaux ou le financement du terrorisme, le travail des enfants et les autres formes de traite des êtres humains. Aussi, avant l'entrée en vigueur de la loi du 9 mars 2023, le Code de la commande publique retenait le principe d'une exclusion automatique des procédures pour les manquements susvisés. Tirant les conséquences de cette inconventionnalité, et plus particulièrement de la position de la CJUE, le Conseil d'État avait considéré « dans l'attente de l'édiction des dispositions législatives et réglementaires nécessaires au plein respect des exigences découlant du droit de l'Union européenne », que l'exclusion prévue à l'article L. 3123-1 du Code de la commande publique n'était pas applicable à la personne qui « après avoir été mise à même de présenter ses observations, établit dans un délai raisonnable et par tout moyen auprès de l'autorité concédante, qu'elle a pris les mesures nécessaires pour corriger les manquements correspondant aux infractions mentionnées au même article pour lesquelles elle a été définitivement condamnée et, le cas échéant, que sa participation à la procédure de passation du contrat de concession n'est pas susceptible de porter atteinte à l'égalité de traitement » Note 5 . Par l'article 15 de la loi du 9 mars 2023, le législateur est donc venu consacrer la possibilité de faire valoir des mesures correctives dans le cadre d'un mécanisme qualifié de dispositif « d'auto-apurement » Note 6 . Ce mécanisme peut apparaitre discutable. Au cours des débats parlementaires, plusieurs groupes ont d’ailleurs demandé la suppression de l’article 15 en ce qu’il ferait « la part belle à l’impunité des entreprises en matière de commandes publiques », ou encore en ce qu’il ne serait pas « acceptable » voire non « recevable » Note 7 . Pourtant, si ces exclusions, contrairement aux peines d'exclusion prévues aux articles 131-34 ou 131-39 du Code pénal, ne sont pas qualifiées de punitions et ne visent, selon le Conseil constitutionnel, qu'à « assurer l'efficacité de la commande publique et le bon usage des deniers publics » Note 8 , elles peuvent néanmoins entraîner de lourdes conséquences pour les opérateurs économiques. De plus, ces dernières trouvent à être appliquées même au titre de certains délits formels. Aussi, en complément d'une nécessaire mise en conformité avec le droit de l'Union européenne, il apparait possible de justifier de la pertinence des mécanismes d’auto-apurement en ce qu’ils permettent une application mesurée de ces exclusions de plein droit. C'est l'ambition des rédacteurs de l'article 15 de la loi du 9 mars 2023 dont il convient de s'intéresser aux conséquences.

1. Les limites à l'exclusion de plein droit des candidats condamnés aux « manquements les plus graves » Note 9

2. - Des précisions relatives au caractère définitif de la condamnation. - Les articles L. 2141-1, L. 2341-1 et L. 3123-1 sont modifiés afin de préciser que les exclusions de plein droit relatives à des condamnations pour les infractions pénales visées à ces articles, ne sont pas applicables en cas d'obtention d'un sursis, d'un ajournement du prononcé de la peine ou d'un relèvement de peine. Pour rappel, au titre de l'article 506 du Code de procédure pénal, l'appel est suspensif, sauf si le juge décide de l'exécution provisoire de la peine. En conséquence, les acheteurs et autorités concédantes, qui constatent que, parmi les candidats à un contrat de la commande publique, se trouve une personne condamnée au pénal pour une des infractions visées aux articles susmentionnés, doivent vérifier le caractère définitif de la condamnation. Plus précisément, ces derniers doivent constater l'absence d'appel ou, dans l'hypothèse d'un appel en 1re instance, l'existence d'une exécution provisoire avant d'exclure le candidat. Le législateur a donc tranché en faveur d'une jurisprudence du Conseil d'État disposant « qu'une personne dont le jugement l'ayant condamnée à une peine d'exclusion des marchés n'est pas exécutoire en raison de l'appel formé à son encontre ne peut être exclue, pour ce motif, de la procédure de passation du marché » Note 10 .

3. - La codification du dispositif d’auto-apurement. - L’article 15 de la loi du 9 mars 2023 a complété le Code de la commande publique des articles L. 2141-6-1 et L. 3123-6-1 énonçant la possibilité, pour un opérateur exclu, de bénéficier du mécanisme d’auto-apurement. Désormais, un acheteur ou une autorité concédante, qui constate qu’un opérateur économique présentant une candidature à un contrat de la commande publique fait l’objet d’une condamnation définitive pour l’une des infractions mentionnées aux articles L. 2141-1 ou L. 3123-1 du CCP devra, avant d’exclure cet opérateur économique de la procédure, lui permettre d’apporter des preuves attestant qu’il a pris des mesures de nature à démontrer sa fiabilité. Il convient de préciser que les marchés de défense et de sécurité ne sont pas concernés par ces évolutions. Le 6 avril 2023, la direction des affaires juridiques (DAJ) a défini, au sein de sa lettre mensuelle, le mécanisme « d’auto-apurement » en rappelant notamment que ce dernier est applicable « en dehors de l’hypothèse où une peine complémentaire d’exclusion des marchés publics a été prononcée à son encontre » par le juge pénal. Il convient de souligner que la loi liste, en reprenant celles prévues par les directives européennes, des mesures permettant de démontrer sa fiabilité. La loi énonce que cette démonstration est possible notamment en établissant que la personne a :

  • « entrepris de verser une indemnité en réparation du préjudice causé par l’infraction pénale ou la faute » ;
  • « clarifié totalement les faits ou les circonstances en collaborant activement avec les autorités chargées de l’enquête » ;
  • « pris des mesures concrètes propres à régulariser sa situation et à prévenir une nouvelle infraction pénale ou une nouvelle faute » (CCP, art. L. 2141-6-1 et L. 3123-6-1).

Par ailleurs, l’évaluation de la fiabilité du candidat doit être effectuée, conformément aux dispositions des directives 2014/23/UE et 2014/24/UE, en fonction de la gravité de l’infraction et des circonstances particulières dans lesquelles elle a été commise. La prise en compte de la gravité des faits a été ajoutée par le Sénat « dans l’objectif de maintenir le caractère dissuasif du principe d’exclusion pour faits graves des procédures de passation des marchés publics et des contrats de concession » Note 11 . Dans l’hypothèse d’un constat d’insuffisance des mesures d’auto-apurement, l’acheteur ou l’autorité concédante peut donc exclure un candidat en motivant la décision qui sera ensuite notifiée à l’opérateur économique concerné.

2. Le risque de contentieux et les conséquences pour les acheteurs et autorités concédantes

4. - L’impact pour les acheteurs et autorité concédantes : une nouvelle « charge administrative » Note 12 supposément limitée. - Le Gouvernement, à travers son étude d’impact, se veut rassurant quant aux conséquences de la procédure d’auto-apurement sur les services en charge des achats. En effet, bien que le mécanisme puisse impliquer « de suspendre la procédure et de permettre d’établir, dans un délai raisonnable, que cette condamnation ne fait pas obstacle » Note 13 à la participation du candidat, ses conséquences seraient mesurées puisqu’elles se limitent « aux rares cas dans lesquels un candidat aurait été condamné pour des faits graves » et à une simple appréciation consistant à vérifier « si les éléments présentés par le candidat concerné sont suffisants pour établir que sa fiabilité ne peut être remise en question » Note 14 . Finalement, aucune démonstration, notamment chiffrée, ne vient appuyer le caractère limité des conséquences de cette évolution en termes de charge administrative pour les acheteurs et autorités concédantes. Pour le Conseil d’État, les dispositions commentées « sont de nature à mettre le droit de la commande publique en conformité » avec le droit de l’Union européenne et « n’appellent pas d’autres observations » Note 15 . La commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale souligne néanmoins que le dispositif proposé est « susceptible d’avoir un impact, en termes de charge administrative, sur les collectivités territoriales et les services de l’État » Note 16 . Le risque est cependant écarté par simple renvoi à l’étude d’impact. Enfin, l’étude d’impact, le rapport rendu par le Sénat ainsi que celui de l’Assemblée nationale s’appuient, pour l’article commenté, sur les travaux du Conseil national d'évaluation des normes. Or, il n'y a pas davantage d'information à tirer de la délibération du 3 novembre 2022 qui se limite à l'énoncé d'un avis favorable Note 17 . Il conviendra néanmoins, pour les acheteurs et autorités concédantes, de faire preuve de prudence en étudiant, au cas par cas, les éventuelles demandes d'apurement. Le mécanisme ne manquera sans doute pas d'induire un risque contentieux qui semble déjà s’accompagner d’une certaine insécurité juridique.

5. - Le risque de contentieux. - En effet, les acheteurs et autorités concédantes pourront, après avoir contrôlé la fiabilité d’un candidat, au titre des mesures correctives énoncées par les articles L. 2141-6-1 et L. 3123-6-1, décider d'exclure ou de recevoir une candidature. La DAJ précise que dans « certains cas, cette décision nécessitera une nouvelle réunion de la commission d’appel d’offres » Note 18 . En conséquence, des recours seront possibles et seront ouverts tant à l'opérateur économique, si les mesures correctrices qu'il a présentées sont jugées insuffisantes, qu'aux tiers non retenus à l'issue de la procédure, si les mesures correctrices présentées par leurs concurrents ont été, à l’inverse, jugées suffisantes. Au sein de sa lettre d'information Note 19 , la DAJ rappelle les différentes mesures correctives visées par la loi. Or, la liste de la DAJ suppose le caractère exhaustif des mesures nécessaires à l'apurement. Ce fut d'ailleurs le sens du projet de loi déposé par le Gouvernement qui visait les mêmes mesures en retenant une formulation impliquant le caractère cumulatif et exhaustif des éléments à contrôler. Cependant, la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale a modifié le texte afin de faire précéder les mesures associées à la démonstration de la fiabilité de l'adverbe « notamment ». Cette formulation, retenue dans la loi, laisse envisager d'autres moyens offerts aux opérateurs économiques en quête de rédemption. Il apparaît donc regrettable que la commission susmentionnée ait opéré cette modification sans autre explication que la mention de « diverses corrections légistiques pour améliorer la lisibilité des dispositions relatives au mécanisme d'auto-apurement dans le code de la commande publique » Note 20 . Sur ce point, il convient sans doute de se référer aux directives 2014/23/UE et 2014/24/UE ainsi qu'à la jurisprudence de la CJUE. En effet, les directives énoncent les mêmes mesures correctives ainsi que leurs caractères cumulatif et exhaustif Note 21 . En complément, les considérants 102 de la directive 2014/24 et 70 de la directive 2014/23, repris par la CJUE Note 22 précisent de quoi ces mesures « pourraient notamment s'agir ». Cependant, ces énonciations se cantonnent aux hypothèses de « mesures de mise en conformité visant à remédier aux conséquences de toute infraction pénale ou faute et à empêcher effectivement que celles-ci ne se reproduisent » et plus précisément à celles « concernant leur organisation et leur personnel ». À ce titre, la Cour cite « la rupture de toute relation avec des personnes ou des organisations impliquées dans ces agissements, des mesures appropriées de réorganisation du personnel, la mise en œuvre de systèmes de déclaration et de contrôle, la création d'une structure d'audit interne pour assurer le suivi de la conformité et l'adoption de règles internes de responsabilité et de réparation ». En d'autres termes, le droit de l'Union européenne se limite aux 3 catégories de mesures correctives susmentionnées et reprises dans la loi du 9 mars 2023, tout en laissant naturellement ouvert le contenu de ces catégories notamment pour celle visant à maîtriser les risques induits par l'infraction. En tout état de cause, la formulation retenue par le législateur français semble enfermer le juge dans une contradiction difficile à surmonter, si l'on s'en tient à l'utilisation du terme notamment préconisée par le guide de légistique Note 23 : l'édiction de critères cumulatifs mais non exhaustifs. Aussi, la jurisprudence de la CJUE, en plus de donner des exemples de mesures à prendre en compte pour les acheteurs et autorités concédantes, devrait fournir une inspiration contentieuse pour le juge français dans l'attente d'une éventuelle nouvelle correction législative de ce qui semble constituer une légère mauvaise transposition.

3. Une logique décentralisée : un peu plus de compliance dans la commande publique ?

6. - Le report de l'évaluation de la fiabilité du candidat sur l'acheteur ou l'autorité concédante. - Le droit de l'Union européenne laisse aux États membres la liberté « de décider s'ils autorisent chaque pouvoir adjudicateur à effectuer les évaluations pertinentes ou s'ils confient cette tâche à d'autres pouvoirs à un niveau central ou décentralisé » Note 24 . Le législateur français fait donc le choix d'une politique publique, notamment en matière de lutte contre la corruption, décentralisée en reportant, au moins en partie, sur les acheteurs et autorités concédantes l'appréciation de la fiabilité du candidat condamné. Pourtant, les rédacteurs du texte auraient pu s'inspirer d'exemples étrangers de modèles d'intégrités impliquant une gestion centralisée et ne reposant pas uniquement sur les acheteurs. Certains auteurs soulignaient la possibilité de transférer le modèle Canadien ou Etasunien en prévoyant qu'une autorité nationale soit en charge de recevoir les demandes de réhabilitation, de les instruire et d'accorder ou non à l'entreprise la possibilité de candidater de nouveau à des marchés publics Note 25 . Il aurait également été possible de prévoir un mécanisme intermédiaire, mais sans doute davantage sécurisant, consistant, comme au Danemark, en une possibilité de saisine pour avis d'une instance nationale Note 26 . Cette responsabilisation des acheteurs apparaît discutable dans la mesure où elle n'est pas, pour le moment, complétée de mécanismes d'accompagnement. À titre d'exemple, il apparaîtrait particulièrement pertinent, dans l'optique de fournir aux acheteurs et autorités concédantes les moyens du contrôle de fiabilité, de créer un « Fichier National des Personnes Interdites de Candidater aux Contrats de la Commande Publique » Note 27 nourrit par les juridictions judiciaires. Un tel fichier permettrait notamment d'assurer une plus grande effectivité dans l'application des exclusions de plein droit. Ces dernières dépendant aujourd'hui en grande partie des déclarations sur l'honneur remplies par les candidats (CCP, art. R. 2143-3). En l'absence de telles mesures, et dans l’attente des premières jurisprudences, il existe un risque, parfois considéré comme inhérent à la compliance, de créer des ilots normatifs et donc d'aboutir à l'existence d'autant de sous-systèmes que de sujets Note 28 . Cette indétermination de la norme peut lui faire perdre son usage fonctionnel : le tracé et la mesure Note 29 . De plus, les calculs coût-avantage induits par de telles politiques de gestion des risques pourraient, en l'absence de centralisation, instaurer une forme de police managériale à la main des acheteurs et autorités concédantes, voire une dissipation du droit Note 30 . Ce risque se traduirait concrètement par une indétermination du régime de l'exclusion de plein droit pour condamnation pénale et donc potentiellement sa dissipation.

7. - La politique de prévention de la corruption. - Il convient de rappeler que le Gouvernement avait présenté la non-transposition de la possibilité d'auto-apurement comme un choix fait « dans un souci de moralisation de l'achat public » Note 31 . Dès lors, il semble possible de présenter cette réforme comme un recul de la politique nationale de lutte contre la corruption. Il est également possible de souligner que le dispositif commenté induit un nouveau risque de manquements au devoir de probité et particulièrement de favoritisme, en ce que des entités définitivement condamnées pour des faits justifiant une exclusion, voire pour des faits de corruption, pourraient être tentées de proposer des avantages injustifiés au service en charge des achats pour être considérées comme fiables. Cependant, la logique de compliance, qui semble être promue par les dispositions commentées, permet de nuancer ces premières assertions. En effet, la possibilité d'auto-apurement, notamment en ce qu'elle vise à prouver l'existence de mesures concrètes de prévention d'une nouvelle infraction pénale ou d'une nouvelle faute, pourra peut-être fournir une nouvelle incitation à se doter de programmes de prévention des risques juridiques et éthiques tels que celui énoncé par la loi Sapin 2 Note 32 . En outre, ce mécanisme pourra participer d'une moralisation de la chaîne contractuelle par le donneur d'ordre Note 33 . Cela est d'autant plus vrai que l'exclusion des marchés publics peut s'avérer bien plus sévère et donc incitative que la potentielle sanction de l'Agence française anticorruption Note 34 . Par ailleurs, le mécanisme d'auto-apurement semble pouvoir venir renforcer le plan de prévention de la corruption des acheteurs et autorités concédantes. En effet, il apparaît pertinent de conjuguer l'évaluation des tiers Note 35 visant « à permettre de décider d'entrer en relation avec un tiers, de poursuivre une relation en cours, le cas échéant avec des mesures de vigilance renforcées, ou d'y mettre fin » Note 36 avec les règles du droit de la commande publique participant à la réduction du risque d'atteinte à la probité notamment celles organisant la transparence des procédures et la mise en concurrence des candidats. Les exclusions de plein droit, qui écartent de la procédure des candidats potentiellement récidivistes, en sont un bon exemple. Or, le mécanisme d'auto-apurement, en plus de pouvoir participer d'une politique de prévention de la récidive, relève d'une forme d'évaluation des tiers puisqu'il consiste notamment à évaluer les risques induits par la relation contractuelle en établissant que des mesures concrètes ont été prises pour prévenir une nouvelle infraction pénale ou une nouvelle faute. De ce point de vue, le mécanisme d'auto-apurement consiste aussi à faire des acheteurs et autorités concédantes des agents de la politique publique de prévention des infractions visées aux articles L. 2141-1 et L. 3123-1 du CCP. Ces derniers se trouveront donc à devoir contrôler l'existence et l'effectivité des mécanismes préventifs, mis en place par les opérateurs économiques, en partie constitués des outils de la compliance que l'on retrouve au sein de la loi Sapin 2. Il apparaît alors que les acheteurs ne semblent pas être, pour des raisons circonstanciées, les plus à même de remplir cette mission. En effet, le retard du secteur public dans la mise en place de ces outils a été rappelé à de nombreuses reprises Note 37 . Certaines entités, telles que les collectivités territoriales, ne sont d'ailleurs pas obligées à se doter des outils de l’article 17 de la loi Sapin 2 Note 38 . Cela pourrait donner lieu à des situations d'asymétries informationnelles rendant l'effectivité de l'évaluation de fiabilité dérisoire. À titre d'exemple, il est possible d'envisager la situation caricaturale (mais bien concevable Note 39 ) d'un cabinet spécialiste de l'accompagnement en matière de compliance qui verrait son programme de prévention contrôlé par une collectivité territoriale. Il semble pourtant possible d'atténuer ces difficultés en accompagnant davantage les acheteurs et autorités concédantes. Le rapport « prévention de la corruption et contrats publics » de la chaire de droit des contrats publics Note 40 préconise par exemple la création d'un standard d'évaluation des tiers, dont l'architecture serait commune aux acteurs publics et privés.

Conclusion

8. - Par la loi du 9 mars 2023, le législateur a codifié le mécanisme d'auto-apurement ouvert aux opérateurs économiques condamnés pour une des infractions visées aux articles L. 2141-1 et L. 3123-1 du CCP. L'application du mécanisme induira un risque de contentieux de la part des opérateurs exclus ou de ceux qui considèrent être lésés par la non-exclusion d'un candidat condamné. Il apparaît également pertinent de souligner que l'article 15 de la loi susvisée constitue une transposition infidèle des directives 2014/23/UE et 2014/24/UE, puisqu'il ne retient pas une définition exhaustive des mesures correctives permettant de justifier de la fiabilité d'un candidat. Ce nouveau mécanisme relève d'une logique de compliance dont le législateur a décidé de confier la charge à chacun des acheteurs et chacune autorités concédantes. Pour le moment, ce choix décentralisé n'est complété d'aucune mesure d'accompagnement notamment pour les collectivités. Il conviendra de voir si certains acteurs, tels que l'AFA, se saisissent de cette question. Il semble néanmoins que l'effectivité de cette mesure aurait pu être renforcée par des moyens complémentaires reposant notamment sur des mécanismes de centralisation (autorité centrale, fichier national, standards de contrôle, etc.). En conséquence, il est possible que ces dispositions relèvent d'une forme de « névrose de » Note 41 la transposition, c'est-à-dire d'une confusion entre fins et moyens, abandonnant l'objectif de la directive pour une transposition formelle. Cette tentative pourrait ainsi s'avérer contre-productive en ne s'accompagnant pas des moyens visant à faire de l'auto-apurement un mécanisme vertueux. ▪

Mots clés : Contrats / Commande publique. - Exclusion.

Note 1 L. n° 2023-171, 9 mars 2023 , portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne dans les domaines de l'économie, de la santé, du travail, des transports et de l'agriculture.

Note 2 CJUE, 11 juin 2020, aff. C472/19, Vert Marine SAS ; Contrats-Marchés publ. 2020, comm. 261, note G. Eckert.

Note 3 CE, 12 oct. 2020, n° 419146 , Vert Marine : Lebon T. ; JCP A 2020, act. 583.

Note 4 CJUE, 19 juin 2019, aff. C-41/18, Meca Srl .

Note 5 CE, 12 oct. 2020, n° 419146 , Vert Marine.

Note 6 Lettre de la DAJ, Mise en conformité du dispositif d’« auto-apurement » du code de la commande publique à la suite de la décision Vert Marine du Conseil d’Etat, 6 avr. 2023.

Note 7 AN CR, 3e séance, 24 janv. 2023 : JORF 25 janv. 2023, p. 709.

Note 8 Cons. const., 28 janv. 2022, n° 2021-966 QPC, M. Cédric L. et a.

Note 9 Étude d’impact, Projet de loi portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne dans les domaines de l’économie, de la santé, du travail, des transports et de l’agriculture, ECOX2229741L/Bleue-1, 22 nov. 2022, p. 124.

Note 10 CE, 2 nov. 2022, n° 464479, Sté Icare  : Lebon T. ; JCP A 2022, act. 672 ; Contrats-Marchés publ. 2023, comm. 1, obs. M. Ubaud-Bergeron.

Note 11 Rapp. AN n° 748, 18 janv. 2023, sur le projet de loi, adopté par le Sénat, portant diverses dispositions l’adaptation au droit de l’Union européenne dans les domaines de l’économie, de la santé, du travail, des transports et de l’agriculture.

Note 12 Rapp. AN, ibid.

Note 13 Étude d’impact, Projet de loi portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne dans les domaines de l’économie, de la santé, du travail, des transports et de l’agriculture, 22 nov. 2022.

Note 14 Étude d’impact, ibid.

Note 15 CE, 17 nov. 2022, n° 406048, avis sur un projet de loi portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne dans les domaines de l’économie, de la santé, du travail, des transports et de l’agriculture.

Note 16 Rapp. AN n° 748, 18 janv. 2023, sur le projet de loi, adopté par le Sénat, portant diverses dispositions l’adaptation au droit de l’Union européenne dans les domaines de l’économie, de la santé, du travail, des transports et de l’agriculture.

Note 17 CNEN, délib. n° 22-11-03-02998, 3 nov. 2022.

Note 18 Rapp. AN n° 748, 18 janv. 2023, sur le projet de loi, adopté par le Sénat, portant diverses dispositions l’adaptation au droit de l’Union européenne dans les domaines de l’économie, de la santé, du travail, des transports et de l’agriculture.

Note 19 Lettre de la DAJ, Mise en conformité du dispositif d’« auto-apurement » du code de la commande publique à la suite de la décision Vert Marine du Conseil d’Etat, 6 avr. 2023.

Note 20 Rapp. AN n° 748, 18 janv. 2023, sur le projet de loi, adopté par le Sénat, portant diverses dispositions l’adaptation au droit de l’Union européenne dans les domaines de l’économie, de la santé, du travail, des transports et de l’agriculture.

Note 21 Dir. 2014/23/UE, art. 38, § 9 . – Dir. 2014/24/UE, art. 57, § 6.

Note 22 CJUE, 14 janv. 2021, aff. C-387/19, RTS infra BVBA ; Contrats-Marchés publ. 2021, comm. 102, obs. H. Hoepffner ; Europe 2021, comm. 93, obs. V. Bassan

Note 23 CE, Premier ministre, Guide de légistique : Doc. fr., 3e éd., p. 300.

Note 24 CJUE, 14 janv. 2021, aff. C-387/19, RTS infra BVBA.

Note 25 F. Lichère, V. Lamy, A. Meynier Pozzi et O. Sulpice, Prévention de la corruption et contrats publics, rapp., mai 2022, p. 219.

Note 26 F. Lichère, ibid., p. 219.

Note 27 F. Lichère, Ibid., p. 220.

Note 28 M. Chambon, Une logique de compliance dans l’action publique, in J.-B. Auby, E. Chevalier, E. Slautsky, Le futur du droit administratif : LexisNexis, 2019, p. 231.

Note 29 C. Thibierge, Postface : puissances de la norme et densification normative, in J. Le Goff, S. Onnée, Puissance de la norme – Défis juridiques et managériaux des systèmes normatifs contemporains : EMS Editions, 2017, p. 195-208.

Note 30 M. Chambon, préc.

Note 31 Étude d’impact, Projet de loi portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne dans les domaines de l’économie, de la santé, du travail, des transports et de l’agriculture, ECOX2229741L/Bleue-1, 22 nov. 2022.

Note 32 L. n° 2016-1691, 9 déc. 2016, art. 17 .

Note 33 M.-A. Frison-Roche, Ce qui est commun à la Compliance, au Contrat et aux Parties contractantes. Éléments pour la synthèse, in Journal of Regulation & Compliance (JoRC) et Université de Nîmes Compliance et Contrat : les acteurs et leurs stratégies, Nîmes, 18 nov. 2022.

Note 34 L. n° 2016-1691, 9 déc. 2016 , art. 17.V.

Note 35 L. n° 2016-1691, 9 déc. 2016 , art. 17.4°.

Note 36 AFA, Recommandations destinées à aider les personnes morales de droit public et de droit privé à prévenir et à détecter les faits de corruption, de trafic d'influence, de concussion, de prise illégale d'intérêts, de détournement de fonds publics et de favoritisme, 4 déc. 2020, p. 63.

Note 37 AFA, Prévention et détection des atteintes à la probité au sein du secteur public local, avr. 2022. – F. Lichère, V. Lamy, A. Meynier Pozzi et O. Sulpice, Prévention de la corruption et contrats publics, rapp., mai 2022.

Note 38 F. Jourdan et Y. Benrahou, La mise à jour du logiciel de l’Agence française anticorruption : une aubaine pour les collectivités : JCP A 2021, 2079, n° 10-11.

Note 39 Le siège français de McKinsey perquisitionné pour soupçons de fraude fiscale : Les Échos, 24 mai 2022.

Note 40 F. Lichère, V. Lamy, A. Meynier Pozzi et O. Sulpice, Prévention de la corruption et contrats publics, rapp., mai 2022, p. 219.

Note 41 G. Carcassonne, Le trouble de la transparence : Pouvoirs 2001/2.

Etude par Yanisse Benrahou Fleurus Avocats – doctorant, université Paris-Nanterre, membre de l'observatoire de l'éthique publique