JOURNAL

Loi n° 2021-1485 du 15 novembre 2021 visant à réduire l'empreinte environnementale du numérique en France - Pour des collectivités e-responsables

Commande publique

Fleur Jourdan et Yanisse Benrahou
LE JOURNAL

La loi du 15 novembre 2021 vise à réduire l'impact du numérique sur l'environnement en modifiant les pratiques individuelles mais également en s'appuyant sur les collectivités. - Des mesures permettent de favoriser le réemploi et la réparabilité des équipements numériques utilisés par les personnes publiques ; d'autres visent à encourager une stratégie de développement numérique prenant en compte les préoccupations environnementales

Contrairement à une idée reçue, le numérique n'est pas dépourvu d'impact sur l'environnement. Alors que la part du numérique dans les émissions de gaz à effet de serre représentait 2 % en 2019, soit 15 millions de tonnes équivalent carbone, elle pourrait grimper à 6,7 % de nos émissions en 2040 (Rapp. Sénat n° 242, G. Chevrollier et J.-M. Houllegatte, 16 déc. 2020, sur la proposition de loi visant à réduire l'empreinte environnementale du numérique en France). Empêcher l'explosion de l'impact du numérique doit donc constituer une priorité pour les politiques publiques environnementales.

Avant le dépôt de la proposition de loi visant à réduire l'empreinte environnementale du numérique en France, le rapport du 24 juin 2020 de la mission sur l'empreinte environnementale du numérique de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable du Sénat, dressait un état des lieux de l'empreinte environnementale du numérique en France, évaluait son évolution dans les prochaines années pour formuler des pistes d'actions pour engager la France dans une transition numérique compatible avec les objectifs de l'Accord de Paris de lutte contre le réchauffement climatique (Doc. Sénat n° 555, 24 juin 2020).

À l'issue de ces travaux, les sénateurs Patrick Chaize, Guillaume Chevrollier, Jean-Michel Houllegatte et Hervé Maurey ont déposé au Sénat une proposition de loi le 12 octobre 2020.

Cette proposition de loi sénatoriale avait pour ambition d'empêcher la croissance exponentielle de la « pollution digitale ». Cela impliquait notamment, selon la feuille de route parlementaire, de permettre une prise de conscience de l'impact environnemental du numérique, de limiter le renouvellement des appareils numériques et de favoriser des usages numériques écologiquement vertueux.

Cette proposition de loi a été adoptée à la quasi-unanimité par le Sénat le 12 janvier 2021 et à l'unanimité par l'Assemblée nationale le 10 juin 2021. Elle a abouti à l'adoption de la loi n° 2021-1485 du 15 novembre 2021 visant à réduire l'empreinte environnementale du numérique en France (Ph. Billet, Un pavé (numérique) dans la mare (de l'environnement) ! Reset !, Énergie – Env.– Infrastr. 2021, alerte 70)

Certaines des dispositions de cette loi visent plus particulièrement les collectivités territoriales en tant qu'utilisatrices de matériels numériques (1) mais également qu'autorités régulatrices du numérique sur leur territoire (2).

1. La limitation du renouvellement des appareils numériques

Le chapitre II de la loi du 15 novembre 2021 vise à limiter le renouvellement des terminaux numériques, dont la fabrication représente 70 % de l'empreinte carbone du numérique en France, la loi vise à renforcer la lutte contre l'obsolescence programmée, en contraignant les fabricants à prouver que la réduction de la durée de vie du terminal n'est pas imputable à une stratégie commerciale, en sanctionnant l'obsolescence logicielle ou encore en allongeant la durée de la garantie légale de conformité des produits numériques de deux à cinq ans.

Dans cet objectif, les articles 15 et 16 de la loi promeuvent respectivement la prise en compte de l'indice de réparabilité par les acheteurs publics (A) et le réemploi des équipements informatiques cédés par les personnes publiques (B).

A. - La prise en compte de l'indice de réparabilité dans la commande publique

L'article 15 de la loi modifie l'article 55 de la loi n° 2020-105 du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire.

Ce dernier oblige notamment depuis le 1er janvier 2021 les personnes publiques à promouvoir, lorsqu'elles acquièrent des logiciels, le recours à ceux dont la conception permet de limiter la consommation énergétique associée à leur utilisation.

La présente loi vient compléter cet article avec deux nouveaux alinéas, qui obligeront l'État et les collectivités, lorsqu'elles achèteront des produits numériques, à prendre en compte leur indice de réparabilité – à compter du 1er janvier 2023 – puis leur indice de durabilité – à partir de 2026.

Pour rappel, l'indice de réparabilité a été créé par la loi du 10 février 2020 précitée. Il est défini à l'article L. 541-9-2 du Code de l'environnement et a été précisé par le décret n° 2020-1757 du 29 décembre 2020 relatif à l'indice de réparabilité des équipements électriques et électroniques.

Son mode de calcul est précisé à l'article R. 541-214 du Code de l'environnement qui prévoit la prise en compte de différents critères :

  • la durée de disponibilité de la documentation technique et relative aux conseils d'utilisation et d'entretien ;
  • le caractère démontable de l'équipement ;
  • les durées de disponibilité sur le marché des pièces détachées et les délais de livraison ;
  • le rapport entre le prix de vente des pièces détachées et le prix de vente des équipements ;
  • des critères spécifiques à la catégorie d'équipements concernée.

L'indice de réparabilité est obtenu en additionnant les cinq notes obtenues sur ces critères puis en divisant ce total par dix pour exprimer une note synthétique sur une échelle de 1 à 10.

Cette note sur 10 doit obligatoirement apparaître lors de l'achat de certains appareils électroménagers et électroniques neufs (ordinateurs, téléviseurs, etc.), afin d'informer le consommateur sur la réparabilité de son appareil et de le sensibiliser à la réparation et ainsi de lutter contre l'obsolescence.

À compter du 1er janvier 2024, l'indice de réparabilité sera complété ou remplacé par un indice de durabilité, qui inclura de nouveaux critères comme la fiabilité et la robustesse du produit.

Aussi cet indice pourra soit être mis en place comme un critère de notation des offres dans les marchés publics, soit comme une condition de recevabilité de celles-ci.

Cette prise en compte dans la commande publique permettra aux acheteurs de satisfaire aux nouvelles obligations issues de la loi du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, dite loi « climat et résilience », qui prévoit désormais, dans le cadre des dispositions de l'article L. 2152-7 du Code de la commande publique, que parmi les critères d'attribution des marchés publics, « au moins un de ces critères prend en compte les caractéristiques environnementales de l'offre ». (F. Linditch, Les mesures destinées à améliorer la prise en compte du développement durable dans la commande publique, JCP A 2021, 2275 ; F. Jourdan, Note d'impact « Sur les dispositions commande publique de la loi climat et résilience », Lexis 360, 6 déc. 2021).

B. - Le réemploi des équipements informatiques cédés par les personnes publiques

Par ailleurs, l'article 16 de la loi prévoit que lorsqu'un service de l'État ou une collectivité territoriale se sépare d'un équipement informatique fonctionnel, ce dernier doit être orienté vers le réemploi ou la réutilisation. Un décret devra déterminer les modalités, les proportions et le calendrier de cette obligation.

Il est d'ores et déjà prévu que si la valeur de l'équipement est inférieure à 300 €, il pourra notamment être cédé aux personnels de l'administration concernée, à des organismes de réutilisation et de réemploi agréés « entreprise solidaire d'utilité social » ou à certaines associations (conformément à CGPPP, art. L. 3212-2, D. 3212-3 et D. 3212-4).

La liste de ces associations était auparavant limitée aux associations d'étudiants, de parents d'élèves et de soutien scolaire, mais elle a été élargie à toute association reconnue d'utilité publique par l'article 38 de la loi commentée.

Il convient néanmoins de souligner que les équipements de plus de 10 ans ne seront pas concernés par cette obligation et seront, pour leur part, orientés vers le recyclage.

2. La promotion d'une stratégie numérique responsable dans les territoires

La loi vise à faire émerger une véritable régulation environnementale pour prévenir l'augmentation des consommations et émissions des réseaux et des centres de données.

Aussi, le chapitre V de la loi, introduit par les sénateurs, complète les plans climat-air-énergie territoriaux (A) et crée une stratégie numérique responsable dans les collectivités (B).

A. - L'intégration des enjeux numériques aux plans climat-air-énergie

Dans les EPCI à fiscalité propre de plus de 20 000 habitants et la métropole de Lyon, les plans climat-air-énergie territoriaux (PCAET), prévus à l'article L. 229-26 du Code de l'environnement, définissent le programme d'actions à réaliser afin d'atteindre une liste d'objectifs environnementaux (Les territoires face à la transition énergétique : comment mettre en place les plans climat-air-énergie territoriaux (PCAET) : JCP A 2016, act. 958).

Ces plans sont notamment destinés à améliorer l'efficacité énergétique, à accroître les énergies renouvelables, à limiter l'émission de gaz à effet de serre, à favoriser la biodiversité et à anticiper les impacts des changements climatiques.

L'article 34 de la loi intègre de nouveaux enjeux aux PCAET élaborés ou révisés après la publication de la loi. À l'avenir, le plan devra intégrer un nouvel objectif de réduction de l'empreinte environnementale du numérique.

Parmi ces ambitions figure la valorisation du potentiel en énergie de récupération. Il est désormais inclus le potentiel de récupération de chaleur à partir des centres de données. En effet, le rapport du 24 juin 2020, soulignait que les centres de données, ou data center, produisent en forte quantité de la chaleur dite fatale, qui correspond à l'énergie thermique indirectement produite par les centres de données. Cette chaleur n'est, pour l'instant, ni récupérée, ni valorisée.

B. - La création d'une stratégie numérique responsable territoriale

Enfin, l'article 35 de la loi prévoit que les communes et les EPCI à fiscalité propre de plus de 50 000 habitants devront définir, au plus tard en 2025, une stratégie numérique responsable.

Le contenu de cette stratégie et les modalités de son élaboration seront précisés par décret. Elle devra notamment indiquer les objectifs de réduction de l'empreinte environnementale du numérique et les mesures mises en place pour les atteindre.

Dans l'optique de l'élaboration de cette stratégie, ces collectivités doivent élaborer un programme de travail préalable d'ici le 1er janvier 2023, qui comporte notamment un état des lieux recensant les acteurs concernés.

Cette stratégie numérique responsable devra faire l'objet d'un bilan annuel dans le cadre du rapport sur la situation en matière de développement durable rendu obligatoire, par le décret n° 2011-687 du 17 juin 2011 pour les collectivités territoriales de plus de 50 000 habitants.

Enfin, il convient de souligner que la première version de la proposition de loi prévoyait de rendre obligatoire l'écoconception des sites publics. Ces dispositions n'ont pas été retenues en première lecture par l'Assemblée Nationale. En se fondant sur des recommandations de l'ARCEP et afin d'éviter une non-conformité avec la directive e-commerce, la loi s'est finalement limitée à créer un référentiel général de l'écoconception des sites webs que les collectivités pourront utiliser.

La Semaine Juridique Administrations et Collectivités territoriales n° 51-52, 20 Décembre 2021, act. 757