JOURNAL

Le Mapping anticorruption devient global, État des lieux et perspectives

Lutte contre la corruption

Fleur Jourdan et Jacques Messeca
LE JOURNAL

The French Anti-Corruption Agency, in partnership with the GRECO, the OECD, and the NCPA, recently published on its Website the analysis report of the global mapping of anti-corruption authorities. The insights of this report will guide the NCPA's search for better ways to implement international cooperation in the field of corruption prevention.

AFA in partnership with GRECO, OECD and NCPA, Global Mapping of Anti-Corruption Authorities. Analysis Report, May 2020

Note :

L'Agence française anticorruption (AFA) entend exercer un rôle moteur dans le renforcement des dispositifs anticorruption et la coopération avec ses différents homologues au niveau international et a constitué, pour ce faire, un réseau global informel composé d'un ensemble d'autorités nationales de prévention et de surveillance de ces pratiques. L'objectif affiché est clair : créer une plate-forme internationale et opérationnelle d'échanges d'informations techniques et de retours d'expériences entre ces différents organismes pour anticiper les différents modes de corruption et, au-delà, promouvoir une culture globale fondée sur la confiance et l'intégrité.

Dans cette perspective, l'AFA et ses pairs ont, en coopération avec le Conseil de l'Europe et l'OCDE, initié ces derniers mois une vaste enquête auprès de 171 autorités nationales de lutte anticorruption réparties dans 114 pays. Il s'agissait en premier lieu et très concrètement de recenser et d'identifier dans chaque pays l'existence ou non d'une ou plusieurs autorité(s) en charge des aspects anticorruption et compliance et leurs interlocuteurs dédiés en leur sein, ou encore de valider l'existence de dispositifs de recensement du patrimoine des personnels politiques de ces pays.

L'objectif secondaire et parallèle de ce sondage planétaire a consisté à cartographier sur une large échelle les diverses stratégies mises en place au sein des pays concernés pour permettre de mieux appréhender les besoins et attentes de ces autorités nationales anticorruption, d'anticiper leurs défis communs et, enfin, d'explorer des pistes concrètes pour l'avenir de la coopération et des échanges internationaux entre tous ces organismes de lutte contre la corruption publique et privée.

Cette enquête en ligne, dont les résultats viennent d'être publiés, s'est déroulée sur 6 mois et a bénéficié d'un taux de retour très significatif mettant en exergue à la fois l'existence d'organismes anticorruption sur tous les continents,

mais également des champs d'intervention diversifiés : certains pays ont centralisé la lutte anticorruption au sein d'un seul organisme, d'autres ont répartis ces missions au sein de différentes agences ou organismes dédiés. Un point commun semble toutefois se dessiner : de plus en plus de pays entendent désormais calquer ou fonder leurs politiques anticorruption sur les travaux effectués en la matière par l'OCDE ou le Conseil de l'Europe.

Sur le fond, il en ressort de réelles tendances et des préoccupations similaires exprimées par ces différents organismes qui devraient tendre à l'avenir vers des dispositifs de coopération renforcée entre les États pour lutter contre les différents types de corruption.

1. Les principaux enseignements du rapport : une convergence du rôle des agences

Le rapport révèle que dans la plupart des pays participant au projet, une seule autorité est chargée de prévenir et de lutter contre la corruption.

Cette autorité est le plus souvent, pour 63 % d'entre elles, dotée de pouvoirs d'enquête et/ou de pouvoirs de poursuite pénale. Les poursuites pénales concernent principalement les personnes physiques. C'est pourquoi le rapport rappelle la nécessité de renforcer davantage la responsabilité des personnes morales pour corruption conformément à l'article 2 de la Convention anticorruption de l'OCDE (1).

Moins de la moitié des organismes interrogés ont des mécanismes de sanction et ceux-ci sont généralement de nature administrative. Ce constat est l'occasion de souligner que les sanctions administratives peuvent favoriser une application plus rapide des règles anticorruption, alors que les sanctions pénales sont généralement prononcées après une procédure plus longue et sont, partant, moins incitatives.

Il en ressort également qu'une nette majorité des agences participe à l'élaboration de stratégies nationales de lutte contre la corruption, soit en tant qu'organisation chef de file, soit en tant que contributeur. Cette situation répond aux recommandations de l'OCDE qui préconisait en 2017 que, dans le cadre de leur approche stratégique de l'intégrité, les États élaborent des indicateurs et collectent des données crédibles sur l'efficacité globale de leurs systèmes nationaux d'intégrité. Les agences anticorruption semblent les mieux placées pour contribuer à éclairer et à réaliser ces évaluations.

À noter : Seuls 9 répondants sur 171 ont indiqué qu'il n'y avait pas de stratégie nationale de lutte contre la corruption dans leur pays.

Comme c'est le cas en France, où cette tâche incombe à la HATVP et non à l'AFA, la plupart des agences ne sont pas responsables de la gestion des déclarations d'actifs et d'intérêts. Seuls 39 % des organisations cumulent ces fonctions.

Le rapport rappelle pourtant que les déclarations de patrimoine et d'intérêts peuvent aider à dissuader les décideurs de toute faute et à renforcer les normes éthiques. En améliorant la transparence, l'un des objectifs poursuivis par les systèmes de déclaration est d'accroître la confiance des citoyens envers leurs dirigeants.

Enfin, et concernant les normes anticorruption, le rapport se focalise sur les obligations concernant les codes de conduite et la cartographie des risques. Ces deux mesures sont en effet considérées comme la pierre angulaire d'une lutte anticorruption réussie. Il en ressort que l'adoption de codes de conduite est plus répandue que la cartographie des risques et que les deux sont rarement obligatoires dans le secteur privé.

Plus étonnant, l'enquête révèle que, dans quelques cas, les répondants d'un même pays donnent des réponses contradictoires concernant leurs propres obligations.

2. Les perspectives : renforcer encore la coopération internationale entre agences

Il est depuis longtemps admis que c'est à l'échelle mondiale que la diffusion de normes élevées de lutte contre la corruption, applicables aux secteurs public et privé, sera le moyen d'égaliser les règles du jeu et de protéger l'ensemble de la société contre la corruption.

La coopération internationale en matière de lutte contre la corruption devrait donc s'étendre et se développer à l'avenir. Cela a déjà commencé.

À titre d'exemple : Le réseau NCPA (2019) a publié un guide technique pour aider les praticiens à élaborer et à mettre en œuvre un code de conduite efficace. Ce guide, élaboré sous la présidence de l'Autorité italienne de lutte contre la corruption (ANAC), rassemble les meilleures pratiques internationales dans le domaine et propose des conseils concrets aux différentes agences anticorruption nationales.

Certains litiges d'ampleur internationale, notamment le cas d'Airbus (2), se sont soldés récemment par des transactions conclues simultanément avec le parquet national financier (PNF) français, le Serious Fraud Office (SFO), l'autorité anti-fraude britannique, le Department of Justice(DoJ), le ministère de la Justice américain. C'est grâce à la collaboration des agences internes de lutte contre la corruption que ces accords ont été rendus possibles.

L'échange automatique et annuel d'informations fiscales est désormais en vigueur et effectif entre quasiment tous les États de la planète. Un tel mécanisme similaire sera-t-il bientôt à l'agenda des différentes agences nationales de lutte contre la corruption ? Tel est l'un des enjeux de la globalisation en marche de la lutte anticorruption...

Revue Internationale de la Compliance et de l'Éthique des Affaires n° 4, Août 2020, comm. 151