JOURNAL

Fédération française des sports de glace : la responsabilité de l'État engagée pour « démission forcée »

Ethique - sport

Fleur Jourdan et Anne Andréa Vilério
LE JOURNAL

Solution. - Pour la première fois, la juridiction administrative reconnaît la responsabilité de l'État pour avoir contraint à la démission le président de la Fédération française des Sports de glace (FFSG). Dans un contexte de scandales sexuels, la juridiction a considéré qu'en effectuant publiquement un lien entre la démission dudit président et la menace de retrait de l'agrément pour la fédération, la ministre avait dépassé son office.

Impact. - La décision apporte un éclairage nouveau sur les relations contractuelles entre les fédérations sportives agréées, délégataires du service public, et l'État. Dans cette décision, le juge prend en compte la résonance médiatique et le contexte de cette affaire et considère que les propos de la ministre, auraient porté atteinte à l'image et la réputation de l'ex-inamovible-président de la FFSG.

TA Paris, 6e sect., 3e ch., 14 janv. 2022, n° 2008096/6-3 : JurisData n° 2022-000991

Le TRIBUNAL - (...) :

Considérant ce qui suit :

• 1. M. X a été élu président de la fédération des sports de glace (FFSG) entre 1998 et 2003 puis, de nouveau, à partir de 2008. A la suite d'accusations de viols et d'agressions sexuelles portées, en janvier 2020, par Mme A à l'encontre de son ancien entraineur, M. B, pour des faits qui se seraient produits entre 1990 et 1992, la ministre chargée des sports a annoncé que M. X serait prochainement entendu pour évoquer ces faits et, plus largement, les mesures mises en œuvre pour prévenir et détecter de tels comportements au sein de la fédération. L'intéressé a été convoqué au ministère le 3 février 2020. Le 8 février 2020, M. X a annoncé sa démission de la présidence de la fédération française des sports de glace à l'issue d'un conseil fédéral extraordinaire. Par un courrier du 25 mai 2020, M. X a formé un recours indemnitaire préalable auprès de la ministre chargée des sports. Par un courrier du 29 mai 2020, la ministre chargée des sports a expressément rejeté sa demande d'indemnisation. Par la présente requête, M. X demande à ce que l'État soit condamné à lui verser la somme de 152 550 euros au titre du préjudice matériel et la somme de 150 000 euros au titre du préjudice moral.

(...)

• 6. D'une part, la circonstance que le conseil fédéral de la fédération soit seul compétent pour se prononcer sur la révocation de son président ne faisait pas obstacle à ce que la ministre, dans l'exercice de son pouvoir de tutelle, porte sa propre appréciation sur les faits dont elle avait connaissance et, si elle le jugeait approprié, appelle à la démission de M. X. et lance une procédure de retrait de l'agrément en vertu des dispositions précitées de l'article R. 131-10 du code du sport ou de retrait de la délégation sur le fondement de l'article R. 131-31 du code du sport. Ainsi, M. G. n'est pas fondé à soutenir que la ministre, qui ne disposait pas de pouvoirs de poursuite à son encontre, aurait méconnu le principe d'impartialité.

• 7. D'autre part, en revanche, en précisant publiquement, en des termes non équivoques, que le retrait de l'agrément ou de la délégation de la fédération était lié au départ de M. X. de son poste de président, la ministre a exercé une pression qui doit être regardée, en l'espèce, comme ayant conduit, de façon décisive, à sa démission. En l'espèce, eu égard aux conséquences majeures qu'emporte le retrait d'un agrément ou d'une délégation pour une fédération sur le plan financier ainsi que pour l'organisation des compétitions, le conseil fédéral de la fédération a été privé de la possibilité de se prononcer librement sur le maintien ou la révocation de l'intéressé, alors qu'il lui appartenait seul de se prononcer sur ce point. Il s'ensuit que M. G. est fondé à soutenir que la responsabilité de l'État peut être engagée pour ce motif.

Décide :

• Article 1er : L'Etat versera à M. X la somme de 5 000 euros au titre du préjudice moral. Cette somme portera intérêt au taux légal à compter du 25 mai 2020. Les intérêts de cette somme échus à la date du 25 mai 2021 puis à chaque échéance annuelle éventuelle à compter de cette date seront capitalisés à chacune de ces dates pour produire eux-mêmes intérêts. (...)

M. Pény, rapp., M. Abrahami, rapp. publ. ; Me Brengarth et de Me Bourdon, av.

Note :

Au début de l'année 2020, la championne de patinage artistique, S. A., a révélé dans son livre (S. A., E. Anizon, Un si long silence : Plon, coll. Plon récit, 2020) les viols, attouchements et le harcèlement sexuel qu'elle a subis à partir de ses 15 ans de la part de son entraîneur. Bien que les faits soient prescrits, une enquête a été ouverte par le parquet de Paris en février 2020.

À la suite de cette publication, plusieurs autres témoignages de patineuses de haut niveau sont intervenus dans la presse. Celles-ci affirmaient avoir été victimes de violences sexuelles, dont les auteurs seraient également des entraîneurs de patinage exerçant pour la FFSG ou au sein de clubs qui lui sont affiliés. C'est ainsi que la responsabilité du bureau exécutif et de la présidence de la FFSG, assurée pendant près de 19 ans par D. G., a été directement pointée du doigt. Dans ce contexte, la ministre des Sports, R. M., a demandé à l'inspection générale de l'éducation, du sport, et de la recherche (l'IGESR), le 6 février 2020, de diligenter une mission d'enquête afin d'examiner les conditions dans lesquelles la FFSG avait pu avoir connaissance de ces faits et les avait alors gérés.

Toutefois, dès le 3 février 2020 et avant même la remise du rapport le 28 juillet suivant, la ministre avait exigé la démission du président de la FFSG, afin que celui-ci assume « la responsabilité » de la FFSG, concernée à tous les égards par l'ensemble de ces affaires. D. G. avait alors présenté sa démission, devenue effective le 8 février 2020. Par courrier adressé quelques jours après à la ministre des Sports, l'ancien président réclamait une indemnisation à hauteur de 302 550 € en raison du préjudice subi à la suite de ce départ qu'il considérait comme « forcé ».

Saisi de ce différend, le 14 janvier 2022, le juge administratif a rendu une décision reconnaissant l'existence d'un préjudice moral causé à l'ex-Président, et a condamné l'État à l'indemniser à la somme de 5 000 €.

1. L'absence de sanction disciplinaire

Il convient de rappeler que le système français dispose d'une politique nationale du sport, passant par la délivrance d'une délégation de service public. Il s'agit d'un contrat par lequel une personne morale de droit public confie la gestion d'un service public dont elle a la responsabilité à un délégataire public ou privé, dont la rémunération est substantiellement liée au résultat de l'exploitation du service (L. n° 2001-1168, 11 déc. 2001, dite loi MURCEF).

Le Code du sport distingue les fédérations agréées, lesquelles participent à l'exécution d'une mission d'intérêt général (C. sport, art. L. 131-8 à L. 131-13), et les fédérations délégataires (C. sport, art. L. 131-14 à L. 131-21), qui bénéficient en plus d'une délégation de pouvoirs du ministre chargé des Sports. Surtout, le fonctionnement des fédérations est assis sur un double principe fixé par le Code du sport : celui du contrôlepar l'État des fédérations, prévu à l'article L. 111-1 du Code du sport ; ainsi que celui de l'indépendance des fédérations, constituées sous forme d'association de loi 1901 de droit privé (C. sport, art. L. 131-1).

Dans son recours, l'ancien président soutenait qu'en exigeant sa démission, la ministre avait méconnu ce principe d'indépendance et n'avait pas respecté son droit à un procès équitable et invoquait la méconnaissance de l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme. Or, si l'article 6, § 1 a déjà trouvé application dans le domaine du sport (CEDH, 18 mai 2021, n° 48909/14, Sedat Dogan c/ Turquie), la juridiction a considéré que ce droit n'était pas invocable en l'espèce, compte tenu de l'absence de procédure disciplinaireengagée à l'encontre de l'ex-président.

Et pour cause, malgré le pouvoir de « contrôle » du ministère sur la fédération, celui-ci ne dispose pas de la prérogative de révoquer le président d'une fédération au cours de son mandat. En effet, une telle révocation est strictement encadrée par les statuts de la FFSG, qui prévoit à l'article 23.4 de son règlement que seule « l'Assemblée Générale peut mettre fin aux mandats du Conseil Fédéral et du Président de la Fédération avant leur terme normal par un vote ».

Or, dans cette affaire, la décision de D. G. est strictement individuelle. Elle est intervenue en dehors de toute procédure et fait écho à sa propre déclaration sur France 5, quelques jours avant sa démission : « si je suis celui qui doit démissionner parce que c'est le seul moyen de débloquer [la situation], je le ferai ».

Par ailleurs, comme le précise la décision commentée, la démission de D. G. était précédée de quelques jours de celle de 4 membres du bureau exécutif de la FFSG, qui avaient eux aussi pris la décision de démissionner en dehors de toute procédure disciplinaire.

C'est parce qu'elle ne disposait pas de ce pouvoir de sanction disciplinaire que la ministre a soulevé la menace du retrait d'agrément.

2. La menace du retrait de l'agrément

Néanmoins et comme le souligne la juridiction, la ministre des Sports exerce un « contrôle » sur les fédérations qui sont délégataires du service public, ainsi que le prévoit le Code du sport.

Il convient de préciser que les termes de l'article L. 111-1 du Code du sport ont été récemment modifiés par la loi n° 2021-1109 du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République. Avant cette modification, c'était la notion de « tutelle » qui caractérisait le pouvoir de l'État sur les fédérations.

Cependant, lorsque le régime de tutelle prévalait, l'État s'accommodait d'une tutelle administrative plus formelle que réelle, engageant des moyens budgétaires, humains et des procédures sans effet vraiment structurant sur le mouvement sportif.

La notion de « contrôle » a permis d'entériner une nécessité que la Cour des comptes identifiait déjà en 2013 dans un rapport public thématique « Sport pour tous et sport de haut niveau : pour une réorientation de l'action de l'État » (https://www.ccomptes.fr/fr/publications/sport-pour-tous-et-sport-de-haut-niveau-pour-une-reorientation-de-laction-de-letat), tenant à l'inévitable rénovation de la relation entre l'État et les fédérations sportives nationales.

Ainsi, le choix du législateur n'est pas anodin en ce qu'il présente une volonté de redéfinition et de clarification du rôle de l'État en responsabilisant les fédérations. L'idée sous-jacente du législateur était de substituer un contrôle d'engagements contractuels à une tutelle classique, afin d'évoluer vers une relation plus encadrée entre les deux acteurs.

Comme le rappelle le tribunal dans la décision commentée, le ministère chargé des Sports peut user des pouvoirs qui lui sont conférés par le législateur en matière d'attribution des prérogatives fédérales. Ce recours peut se matérialiser par la déchéance de l'agrément ou de la délégation aux structures fédérales. Selon la juridiction, le fait pour la ministre d'initier une procédure de retrait d'agrément, ne caractérise pas un dépassement de ses prérogatives du cadre contractuel prévu. L'article R. 131-9 du Code du sport, prévoit les hypothèses dans lesquelles un agrément peut être retiré à une fédération.

À titre d'exemple, l'État a déjà engagé une procédure de retrait d'agrément des structures fédérales des disciplines dites des nouvelles boxes pieds poings. Depuis leur émergence en France, à la fin du XXe siècle, le ministère tentait de rassembler ces nouvelles disciplines. Ainsi, les pouvoirs publics français ont décidé d'intervenir directement en favorisant le rassemblement des disciplines au sein d'une seule structure fédérale dans le but de rationaliser leur gestion. Dans cette affaire, étaient en jeu des motifs tenant au respect de règles de sécurité.

Concernant l'affaire de la FFSG, c'est davantage l'atteinte à l'ordre public ou à la moralité publique, qui aurait justifié la perte de l'agrément, s'il apparaissait établi que des actes criminels ou au moins délictueux avaient pu, sur une longue période se dérouler dans un silence général complice et l'indifférence de la direction.

Un tel retrait entraîne notamment la cessation des aides financières de l'État, et la suspension de la mise à disposition des conseillers techniques sportifs pour la FFSG. Surtout, un retrait d'agrément entraîne le retrait de la délégation, et des conséquences dramatiques telles que la fin du monopole de l'organisation des compétitions, de la délivrance des titres, et de la gestion du sport de haut niveau de la FFSG. À ce titre, pour rappel, le mouvement sportif bénéficie d'un appui technique spécifique à travers l'intervention de fonctionnaires ou d'agents publics rémunérés par l'État, dont le nombre est en moyenne, en année pleine, supérieur à 1 600 agents. La valorisation financière de cette intervention, charges comprises, soit environ 65 000 €/agent, peut être estimée à près de 104 M €. En outre, il convient de préciser que si la menace de la perte de l'agrément est très pénalisante pour la fédération concernée, celle-ci ne l'est guère moins pour le ministère chargé des Sports, qui se trouve privé d'interlocuteur dans un domaine du haut niveau considéré comme sensible, du fait de ses enjeux internationaux.

Une telle menace était donc lourde de conséquences et c'est parce que la ministre l'a liée à la démission du président que le tribunal a considéré qu'elle avait fait peser sur ce dernier une pression fautive.

3. L'engagement de la responsabilité de l'État

Dans ce contexte présentant une grande résonance médiatique, la ministre des Sports a pris le parti de se positionner officiellement, en condamnant fermement les faits incriminés, ainsi que la gestion de la fédération par ses dirigeants.

À la suite d'une rencontre avec D. G., la ministre lui a demandé à de présenter sa démission, estimant qu'un « dysfonctionnement général » existait au sein de la FFSG en précisant que son président ne pouvait « se dédouaner de sa responsabilité morale et personnelle ».

De telles positions ne sont pas sans rappeler la prise de position de la ministre de la Culture, sur la situation du président de Radio France qui avait affirmé qu'un « dirigeant d'entreprise publique condamné pour favoritisme, ce n'est pas une situation acceptable » et qu'il « appartient à l'intéressé d'en tirer les conséquences, ainsi qu'au Conseil supérieur de l'audiovisuel, légalement compétent ». Le Conseil d'État avait alors jugé qu'il ne résultait « pas du seul fait que la procédure qui a débouché sur le retrait du mandat de M. G. a été engagée le lendemain de ces déclarations, que le conseil supérieur se serait cru tenu d'y donner suite et aurait ainsi méconnu son devoir d'indépendance » (CE, 14 déc. 2018, n° 419443, M. G. : JurisData n° 2018-022823 ; Dr. adm. 2019, comm. 20, comm. G. Eveillard). Il est donc possible pour un ministre d'inviter un dirigeant d'entreprise publique ou de fédération à démissionner.

La pression médiatique et l'émotion de la communauté éducative et étudiante ont pu également fonder par le passé l'adoption de mesures conservatoires telles que la suspension par le ministre d'un professeur d'université (CE, réf., 20 nov. 2002, n° 251102, M. C. D. : JurisData n° 2002-064816).

Jusque-là, les déclarations de la ministre ne semblaient pas dépasser les bornes du contratétabli avec la fédération.

En revanche, le lien effectué par la ministre entre la démission de D. G. et la menace d'une procédure de retrait de l'agrément de la fédération, constitue, pour la juridiction, un dépassement de ses prérogatives. Selon le juge, cette déclaration aurait déclenché une « pression publique » sur le président alors encore en mandat. Le tribunal administratif de Paris considère que ce positionnement aurait poussé D. G. « de façon décisive à sa démission ». Ce faisant la ministre aurait empêché le conseil fédéral de la fédérationqui « aurait été privé de la possibilité de se prononcer librement sur le maintien de la révocation de l'intéressé ».

Ainsi, la ministre aurait commis une forme d'ingérence, en poussant le président à une « démission forcée », alors qu'elle ne disposait pas de prérogatives de révocation. Pour la juridiction, la ministre aurait dépassé les limites du « contrôle » prévu par le Code du sport et aurait ainsi commis une faute de nature à engager la responsabilité de l'État.

Ce raisonnement fait écho à l'indépendance des fédérations sportives, qui disposent d'instances spécifiques, chargées de les arbitrer. Celles-ci se sont dotées d'une réelle justice sportive qui leur donne notamment la possibilité de juger leurs membres en première instance, en particulier sur le plan disciplinaire dès lors que leurs comportements seraient répréhensibles. Pourtant, alors que de nombreuses fédérations sportives s'étaient déjà dotées d'organes disciplinaires, le Conseil d'État soulignait, dans une étude datée de 1991, « l'arbitraire » et « l'approximation juridique » de leurs décisions (Conseil d'État, section du rapport et des Etudes, Sports : pouvoir et discipline, l'exercice et le contrôle des pouvoirs disciplinaires des fédérations sportives : Doc. fr., 1991).

De fait, de nombreux dysfonctionnements ont bien été relevés par le rapport de l'IGESR du 28 juillet 2020, mettant en cause 21 entraîneurs de patinage artistique dans des affaires de violences physiques ou sexuelles (IGESR, Rapport sur la situation de la FFSG au regard des faits de violences dans les sports de glace : https://www.lequipe.fr/Patinage-artistique/Actualites/Ffsg-le-rapport-de-l-inspection-generale-ne-demande-pas-de-retrait-de-delegation). Il convient de préciser que ce rapport évoque la concentration des pouvoirs dans les mains de quelques personnes à la FFSG n'ayant pu « que favoriser une forme d'omerta sur les soupçons qui pesaient à l'égard d'entraîneurs et a pu conduire à l'absence de procédures disciplinaires, ou même de simples enquêtes, sur des faits de violence pourtant dénoncés par des victimes. ».

Selon le rapport, les « différents contrôles dont elle a fait l'objet au cours des trois dernières décennies, y compris les plus récents, mettent en évidence un fonctionnement manquant de transparence, des conflits internes marqués dans une fédération multidisciplinaire et des difficultés réelles de fonctionnement de la direction technique nationale ».

Ces conclusions accablantes peuvent-elles fonder de manière rétrospective la pression fautive de la ministre ?"

La Semaine Juridique Edition Générale n° 12, 28 Mars 2022, 394