JOURNAL

De l'éthique du sport à l'éthique des affaires sportives

Compliance - Sport

Fleur Jourdan et Yanisse Benrahou
LE JOURNAL

Alors que la France s'apprête à accueillir des évènements sportifs internationaux tels que la Coupe du monde de Rugby en 2023 ou les Jeux Olympiques et paralympiques en 2024, les acteurs sportifs nationaux se doivent d'être exemplaires. - Longtemps, les questions éthiques dans le monde du sport se sont limitées à la protection des« valeurs sportives ». - Désormais, il appartient à tous les acteurs du monde du sport d'aller au-delà de ces seuls enjeux et de mettre en place des dispositifs éthiques permettant de lutter efficacement contre les autres risques qu'ils rencontrent, tels les risques de corruption ou plus largement d'atteinte à la probité

 

Selon la définition du Conseil de l'Europe figurant dans la charte révisée le 16 mai 2001, le sport recouvre toutes les formes d'activités physiques qui, à travers une pratique organisée ou non ont pour objectif l'expression ou l'amélioration de la condition physique et psychique, le développement des relations sociales ou l'obtention de résultats en compétition de tous niveaux.

 

L'éthique quant à elle consiste à ce que l'individu fasse le choix d'un comportement respectueux de sa propre personne comme d'autrui, ainsi que du bien commun et à s'établir des critères ou des règles de manière à agir librement lors de toute situation pratique en relation avec l'autre, en l'occurrence le sport.

 

Le sport a toujours véhiculé ses propres valeurs éthiques. Certaines d'entre elles sont en effet intrinsèquement liées à l'activité sportive en elle-même : le respect des règles, l'égalité des concurrents, le fair play etc.

 

La charte de l'Olympisme énonce par exemple au titre des principes fondamentaux de l'Olympisme que ce dernier « se veut créateur d'un style de vie fondé sur la joie dans l'effort, la valeur éducative du bon exemple, la responsabilité sociale et le respect des principes éthiques fondamentaux universels ».

 

Il existe donc un lien très profond et ancien entre sport et éthique. Cependant aujourd'hui la notion d'éthique dans le sport dépasse largement les seules « valeurs sportives »attachées à l'activité. C'est désormais la gouvernance des institutions sportives qui doit aller plus loin pour intégrer des exigences de transparence, de probité, et de lutte contre la corruption.

 

1.  De l'éthique sportive…

 

Un concept ancien. - Le sport incarne à lui seul un certain nombre de valeurs : performance, respect des règles, égalité des concurrents, fair play qui sont constitutives de l'éthique sportive. La « sportivité » est en elle-même presque synonyme d'éthique.

 

L'éthique sportive, déjà esquissée sous l'Antiquité mais nécessairement retouchée depuis, est en grande partie à l'origine du pouvoir symbolique du sport. Il existerait ainsi « des valeurs ou des principes spécifiques au sport telles que le dépassement, l'ouverture à tous sans distinction, le respect des règles, l'égalité des concurrents au départ, l'incertitude du résultat et le fairplay » (P. Mignon, Qu'entendre par éthique sportive ? :https://sports.gouv.fr/IMG/pdf/itwpatrickmignonsociologue.pdf).

 

Pour la charte de l'Olympisme « la pratique du sport est un droit de l'homme. Chaque individu doit avoir la possibilité de faire du sport sans discrimination d'aucune sorte et dans l'esprit olympique, qui exige la compréhension mutuelle, l'esprit d'amitié, de solidarité et de fair-play ».

 

C'est de cette éthique sportive qu'ont longtemps été issues les règles applicables au sport.

 

La déontologie qui en découle a été consacrée dans deux articles de la loi n° 75-988 du 29 octobre 1975 dite« Mazeaud » relative au développement de l'éducation physique et du sport puis repris, par la suite, en termes pratiquement analogues par la loin° 84-610 du 16 juillet 1984, dite « Avice » qui dispose que :

 

-« les fédérations font respecter les règles techniques et déontologiques de leurs disciplines » (L. n° 84-610, art. 16) ;

 

-« le CNOSF [Comité national olympique et sportif français] définit, conformément aux missions qui lui sont dévolues par le CIO, les règles déontologiques du sport et veille à leur respect » (L. n° 84-610, art.19).

 

Pourtant, cette déontologie n'a pa sprotégé ce milieu de nombreux scandales qui ont terni l'image du sport. Le dopage, les violences sexuelles, le racisme, les affaires des paris sportifs truqués etc.

 

 

 

Un empilement de textes. - Si depuis 2006, un Code du sport centralise une partie de la réglementation, d'autres textes sont venus compléter ce dispositif. Ainsi depuis 2010, les pouvoirs publics ont pris la mesure des dérives du sport et ont tenté de les encadrer :

 

- les risques liés aux violences sportives sont jugulés par la loi n° 2010-201 du 2 mars 2010 renforçant la lutte contre les violences de groupes et la protection des personnes chargées d'une mission de service public et par la loi n° 2012-158 du 1er février 2012,visant à renforcer l'éthique du sport et les droits des sportifs ;

 

- la loi n° 2010-626 du 9 juin 2010encadre la profession d'agent de joueur ;

 

- de très nombreux textes ont été adoptés pour lutter contre le dopage (D. n° 2013-1286, 27 déc. 2013, portant publication de l'amendement à l'annexe de la convention contre le dopage, adopté le 14 nov. 2013 à Strasbourg, et à l'annexe 1 de la convention internationale contre le dopage dans le sport, adopté à Paris le 11 nov. 2013.- Ord. n° 2010-379, 14 avr. 2010 relative à la santé des sportifs et à la mise en conformité du Code du sport avec les principes du Code mondial antidopage, ratifiée par L. n° 2012-158, 1er févr. 2012, art. 14, ou encore très récemment L. n° 2021-194 du 23 février 2021 habilitant le Gouvernement à prendre les mesures relevant du domaine de la loi nécessaires pour assurer la conformité du droit interne aux principes du code mondial antidopage et renforcer l'efficacité de la lutte contre le dopage) ;

 

- l'ouverture à la concurrence des jeux et paris sportifs est encadré par la loi n° 2010-476 du 12 mai 2010 qui a créé l'Autorité de régulation des jeux en ligne (ARJEL), autorité administrative indépendante dont la mission est le contrôle des paris et jeux en ligne.

 

Mais surtout la préservation de l'éthique sportive en tant que telle est devenue un enjeu majeur. Une première loi n° 2012-158 du 1er février 2012visait « à renforcer l'éthique du sport et les droits des sportifs » (JCPG 2012, 199, Aperçu rapide J.- Ch. Lapouble) a été suivie par une seconde loi n° 2017-261 du 1er mars 2017, visant à préserver l'éthique du sport, à renforcer la régulation et la transparence du sport professionnel et à améliorer la compétitivité des clubs (JCPG 2017, 544, chron., n° 1, obs. R. Boffa. - JCP G 2017, 267, obs. A. Bouvet. -T. Vassine, La loi relative à l'éthique du sport Une loi aux quatre chantiers prometteurs : Rev. int. Compliance 2017, comm. 45. – V. Molho et J.-B.Guillot, Éthique du sport et renforcement de la régulation et de la transparence du sport professionnel : JCP E 2017, 172, Aperçu rapide).

 

Mais cet arsenal législatif s'est en fait révélé insuffisant et n'a pas permis d'empêcher la survenance d'autres difficultés et d'autres scandales cette fois non liés directement à la pratique sportive mais plutôt à la gouvernance du milieu sportif. Ce secteur, compte tenu des enjeux économiques et financiers qu'il véhicule, se trouve nécessairement exposé aux différents risques d'atteinte au devoir de probité : corruption, trafic d'influence, conflits d'intérêts, etc.

 

La France accueillera en 2023 la Coupe du monde de rugby et en 2024 les Jeux olympiques et paralympiques (L. n°2018-202, 26 mars 2018 relative à l'organisation des jeux Olympiques et Paralympiques de 2024 : JCP G 2018, 508, Aperçu rapide A. Bouvet). Avant d'accueillir ces événements internationaux et de continuer à en organiser (Tourde France), le monde sportif doit repenser sa gouvernance pour prendre en compte efficacement les enjeux d'éthique et de probité.

2.  … à l'éthique des affaires sportives

 

Le sport : un véritable secteur économique. - Finalement le sport qui était régi par une éthique qui lui était propre est peu à peu gagné par une définition plus générique de l'éthique qui s'applique plus largement au monde des affaires. Le sport représente désormais 2 % du PIB mondial soit quelques 1 200milliards d'euros (Min. de la Ville, de la Jeunesse et des Sports, Direction des Sports - Bureau de l'économie du sport, « Enjeux de l'économie du sport »,https://www.sports.gouv.fr/IMG/pdf/sporteco_presentation.pdf). Il apparaît ainsi logique que la montée en puissance des dispositifs de compliance concerne également les différents acteurs du sport.

 

L'Association française anticorruption (AFA) considère d'ailleurs, en se fondant sur une étude de Transparency International (https://transparency-france.org/wp-content/uploads/2018/02/2016_GCRSport_EN.pdf.),que le milieu du sport représente un risque particulièrement important en matière de corruption. C'est la raison pour laquelle elle a commencé à investiguer dans ce secteur en auditant un certain nombre d'acteur du sport. Très récemment, l'AFA affirmait ainsi sur les réseaux sociaux qu'elle contribuait au rapport mondial sur la corruption dans le sport (Safeguarding Sport (unodc.org)).

 

À l'instar des élus, les présidents de fédérations sportives sont soumis, conformément aux dispositions de la loin° 2013-907 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique (en vertu de l'article 2 de la loi n° 2017-261 qui étend la loi de2013 pour les élus aux fédérations), aux obligations déclaratives de patrimoines et d'intérêts auprès de la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP).

 

 

 

Les règles de compliance s'appliquent au sport. - Mais surtout de nombreuses organisations du monde du sport sont soumises à la loi n° 2016-1691du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique dite loi Sapin 2(JCP G 2017, 3, Aperçu rapide J.-M. Brigant).

 

C'est le cas des fédérations sportives, associations reconnues d'utilité publique en vertu des dispositions du 3° de l'article 3 de la loi Sapin 2. C'est également le cas des sociétés privées, qui dépassent les seuils fixés par la loi (société employant au moins500 salariés et réalisant un CA supérieur à 100 millions d'euros) et qui interviennent dans le monde du sport soit pour l'organisation d'événements, soit parce qu'elles exploitent des équipements comme des stades ou qu'elles détiennent des clubs sportifs.

 

En conséquence, l'ensemble de ces entités sont tenues de mettre en place un dispositif de lutte contre la corruption articulée autour des 8 mesures prévues par l'article 17 de la loi n°2016-1691 (code de conduite ; dispositif d'alerte interne ; cartographie des risques ; évaluation des tiers ; contrôles comptables ;formation ; régime disciplinaire ; contrôle et d'évaluation interne des mesures mises en œuvre). Cela signifie qu'elles sont susceptibles de faire l'objet d'un contrôle de l'AFA pour vérifier que le dispositif a bien été mis en place. En cas de manquement à ces obligations certaines des entités pourront aire l'objet d'une sanction par la commission des sanctions. Les fédérations sportives à l'instar des collectivités publiques, si elles peuvent être contrôlées, ne s'exposent à aucune autre sanction, directement liée aux dispositions de la loi sapin II, que la mauvaise publicité consécutive à un rapport de l'AFA concluant à la non-conformité aux obligations de prévention de la corruption.

 

Dans ses dernières recommandations, l'AFA engage les entités à adopter un dispositif en trois piliers selon une logique temporelle certaine : l'engagement de l'instance dirigeante, la cartographie et la gestion des risques.

 

Dans le monde sportif l'engagement des instances dirigeantes passe par une mobilisation et une prise de conscience des acteurs au plus haut niveau. De la ministre en passant par la sensibilisation du CNOSF relayé par les présidents de fédérations sportives et des clubs, tous ont un devoir d'exemplarité et de porter un discours empreint de ces valeurs. Néanmoins l'engagement des instances dirigeantes nécessite également, au sein de chaque structure la mise en place d'une organisation dédiée, de la désignation d'un responsable de la conformité, de la définition du calendrier et de la méthodologie de travail, des outils de reporting…

 

Ensuite, l'élaboration d'une cartographie des risques constitue la pierre angulaire nécessaire pour décliner un dispositif de prévention pertinent. Ce travail, d'ampleur, nécessite une méthodologie rigoureuse pour établir une liste exhaustive des risques et les pondérer en fonction de leur occurrence ou de leurs conséquences. Dans le sport les risques les plus fréquents seront souvent ceux liés à la présence d'intermédiaires, au sponsoring, aux hospitalités ou aux paris.

 

Enfin, une fois ce travail effectué, l'organisation peut décliner les autres mesures de gestion des risques qui découlent plus naturellement de la cartographie réalisée. Ainsi par exemple, la cartographie permet d'identifier les personnes les plus exposées et de les former de manière pertinente. Il en va de même pour l'évaluation des tiers qui pourra être concentrée sur les tiers à risque tels que, par exemple les agents ou les intermédiaires.

 

La mise en place d'un système d'alerte est aussi un outil de prévention relativement aisé à mettre en place. Il s'avère pertinent pour lutter à la fois contre le risque de corruption, de conflit d'intérêts mais également toutes les atteintes précitées aux simples« valeurs sportives » : violence, tricherie etc.

 

Les codes de conduite, prévus par la loi Sapin 2 sont des outils eux aussi faciles à décliner, les chartes éthiques étant rendues obligatoires depuis la loi du 1er février 2012. En matière de déontologie du sport, plusieurs instances déclinent des règles à caractère international: le CIO avec la Charte olympique, les fédérations internationales, le CNOSF et, pour l'exécution, les fédérations nationales. Cela permet une homogénéité tout en autorisant une considérable d'autonomie. Ces chartes de déontologie qui reprennent les valeurs sportives doivent être complétées de lignes directrices visant à lutter contre les faits de corruption ou les situations de conflit d'intérêts.

 

Enfin, il convient de rappeler que toutes les entités du sport peuvent, parce qu'elles cherchent à influer sur une décision publique « notamment sur le contenu d'une loi ou d'un acte réglementaire en entrant en communication » avec des responsables publics être qualifiées de « représentants d'intérêts », ou lobbyistes. Elles doivent ainsi, en vertu de l'article 25 de la loi Sapin 2, se déclarer comme tels, puis signaler les activités de représentation d'intérêts qu'elles ont concrètement réalisées auprès de la HATVP (V. JCP G 2018, 728, Aperçu rapide F. Jourdan).

 

Les organisations du monde sportif doivent, si elles ne l'ont pas déjà fait, modifier leurs instruments de gouvernance pour mieux prévenir les risques liés à l'éthique et la probité afin de définitivement « plier le match ».

La Semaine Juridique Edition Générale n° 23, 7 Juin 2021, 600