JOURNAL

Atteintes à la probité : la carte et le territoire

Compliance

Fleur Jourdan
LE JOURNAL

La première étude statistique sur les atteintes à la probité enregistrées par la police et la gendarmerie depuis 2016 révèle une forte hausse des infractions dans ce domaine. - Elle montre que ces infractions sont inégalement réparties sur le territoire. - Elles concernent principalement des infractions de corruption publique réalisées par des personnes physiques

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Le 2 novembre dernier, l'Agence française anticorruption (AFA) et le service statistique ministériel de la sécurité intérieure (SSMSI) ont publié, pour la première fois, une étude portant sur les atteintes à la probité (https://www.agence-francaise-anticorruption.gouv.fr/fr/1ere-etude-statistique-sur-atteintes-probite-enregistrees-par-police-et- gendarmerie).

Cette première publication s'inscrit dans le cadre juridique défini par l'article 3 1° de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, dite loi Sapin 2, mais surtout dans les objectifs du plan national pluriannuel de lutte contre la corruption (PNPLC) publié en janvier 2020.

Depuis de nombreuses années en effet, les différentes instances internationales de lutte contre la corruption ou le blanchiment auxquelles la France est partie prenante (OCDE, GRECO, GAFI, UNODC), soulignent l'importance de disposer d'une analyse nationale du risque de corruption et de mettre à disposition de tous, cette information.

Cette connaissance de la réalité des infractions permet de lutter plus efficacement contre ces situations d'atteinte à la probité en concentrant ses efforts sur les situations les plus à risques.

Force est de constater que les résultats de cette première étude sont riches d'enseignement.

1. L'augmentation du nombre d'infractions

En France, en 2021, ce ne sont pas moins de 800 infractions d'atteinte à la probité qui ont été enregistrées par la police et la gendarmerie.

L'étude révèle qu'entre 2016 et 2021, ces infractions ont augmenté de 28 %, soit en moyenne de 5 % par an. Ces atteintes regroupent les infractions de corruption, de trafic d'influence, de prise illégale d'intérêts, de détournement de fonds publics, de favoritisme et de concussion.

Cette hausse peut s'expliquer par la politique pénale plus efficace mise en place depuis 2014 et par la création d'instances dédiées à ces sujets :

Par conséquent, il peut être assez facilement soutenu que ce n'est pas le nombre de cas qui augmente mais que c'est plutôt leur signalement qui s'accroit.

Il convient de retenir que la hausse des atteintes à la probité est plus marquée en ce qui concerne les cas de corruption. On note en effet, sur ces seules infractions, une croissance de 46 % sur la période analysée. Par ailleurs, celles-ci représentent près d'un tiers des atteintes à la probité.

Dans l'essentiel des cas, soit deux fois sur trois, il s'agit de corruption publique. Cela s'explique sans doute par le fait que les agents publics ont l'obligation de signaler au procureur de la République les crimes et délits dont ils ont connaissance en vertu des dispositions de l'article 40 alinéa 2 du Code de procédure pénale. Cette obligation ne trouve pas à s'appliquer en matière de corruption privée, aucun des acteurs n'étant soumis à une telle obligation légale

La corruption active est plus souvent constatée que la corruption passive. Cette prédominance de la corruption active s'explique par le fait que, souvent, la personne sollicitée par le corrupteur a tendance à dénoncer ce dernier.

Enfin, le rapport souligne que près de 57 % des infractions de prise illégale d'intérêts enregistrées ont été commises par des élus. Cette situation de fait a été prise en compte récemment par le législateur qui a tenté de circonscrire le champ d'application assez large retenu par la jurisprudence (F. Jourdan et Y. Benrahou, La déontologie : 4e dimension de la loi 3DS : JCP A 2022, 2095).

Les impacts de cette réforme sur les statistiques pourront être étudiés dans les années à venir.

2. La répartition territoriale des infractions

Cette étude permet également de dresser deux constats géographiques.

D'une part, ces infractions d'atteinte à la probité sont plus fortement concentrées dans les grandes agglomérations. Plus précisément, elles se concentrent dans les agglomérations d'une taille moyenne comprise entre 20 000 et 200 000 habitants, ainsi que dans l'agglomération de Paris,

D'autre part, la Corse et les départements ultramarins se distinguent comme des départements plus concernés par les atteintes à la probité rapportées à la population que le reste de la France (S.-M. Cabon, La lutte contre la corruption et les entreprises en Polynésie française : JCP A 2020, 2328).

3. Le profil des victimes et des mis en cause

Selon l'enquête Cadre de vie et Sécurité (CVS), qui comporte depuis l'édition 2018 un module relatif à la corruption, 354 000 personnes (soit 0,7 % des personnes âgées de 14 ans ou plus) déclarent avoir été confrontées à une situation de corruption dans le milieu professionnel ou personnel en 2020.

Les mis en cause sont avant tout des personnes physiques alors que la moitié des victimes sont des personnes morales.

L'étude montre que les hommes sont prédominants, aussi bien parmi les victimes que parmi les mis en cause. Les mis en cause pour des infractions d'atteinte à la probité sont en moyenne plus âgés que l'ensemble des mis en cause, toutes infractions confondues. Ils ont majoritairement entre 45 et 54 ans et 95 % d'entre eux sont de nationalité française.

Ce panorama, très instructif, sera un outil précieux, notamment dans le cadre de l'élaboration de cartographies des risques afin d'aider à cibler les secteurs les plus exposés.

Compliance - Atteintes à la probité : la carte et le territoire - Aperçu rapide par Fleur Jourdan La Semaine Juridique Administrations et Collectivités territoriales n° 46, 21 Novembre 2022