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Contrôle de l'AFA : comment se préparer ?

Compliance

Fleur JOURDAN
LE JOURNAL

En décembre 2019, l'AFA vient de lancer une nouvelle vague de contrôles pour 2020.

Ces contrôles, qui peuvent concerner toutes les collectivités locales ou leurs groupements, visent à vérifier que les entités contrôlées ont bien mis en place les huit piliers du dispositif de conformité prévu par la loi Sapin II.

Comment s'organiser lorsque votre collectivité est concernée ?

L'Agence française anticorruption (AFA) a été créée par la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique (dite « loi Sapin II »). Sa mission est double.

D'une part, en vertu de l'article 1er de la loi, elle a un rôle de conseil afin d'aider les autorités publiques et les personnes qui y sont confrontées à prévenir et à détecter les faits de corruption (C. pén., art. 432-11 et C. pén., art. 433-1), de trafic d'influence (C. pén., art. 432-11, C. pén., art. 433-1 et C. pén., art. 433-2), de concussion (C. pén., art. 432-10), de prise illégale d'intérêt (C. pén., art. 432-12 et C. pén., art. 432-13) de détournement de fonds publics (C. pén., art. 432-15 et 432-16) et de favoritisme (C. pén., art. 432-14). Dans ce contexte, l'AFA a élaboré un certain nombre de recommandations (JO, 22 déc. 2017, texte n° 176). En outre, elle répond à des demandes ponctuelles de conseil, assure des formations, etc.

D'autre part, l'AFA s'est vue confier des missions de contrôle de la mise en œuvre et de l'efficacité des dispositifs de conformité anticorruption.

Pour rappel, à l'inverse des entreprises pour lesquelles des seuils ont été fixés, toutes les collectivités publiques sont assujetties à l'obligation de mise en place d'un dispositif de conformité articulé autour des huit piliers de la loi Sapin II (F. Jourdan, Compliance dans les collectivités : l'Agence française anticorruption pointe l'insuffisance des dispositifs mis en place : JCP A 2019, 2042).

Depuis les six premières missions d'enquête, lancées le 10 octobre 2017, l'AFA a diligenté 43 contrôles d'initiative en 2018, dont 15 concernaient des acteurs publics et 28 des acteurs économiques (rapport annuel d'activité de l'AFA pour 2018). L'objectif de l'agence était de réaliser une cinquantaine de contrôles d'acteurs économiques par an.

Désormais assistée de nombreux experts, qu'elle a sélectionnés par appel d'offres (auditeurs, conseils techniques, comptables, avocats, etc.), l'AFA est aujourd'hui aidée pour mener à bien une ambitieuse campagne de contrôles qui devrait s'intensifier.

Jusqu'à ce jour, seules deux de ces opérations ont donné lieu à la saisine de la commission des sanctions qui constitue l'étape ultime en cas de manquement aux obligations posées par la loi Sapin II (F. Jourdan et M. Ayache, Première décision de l'AFA : une décision sans sanction mais riche d'enseignements : JCP E 2019, 1581). Aucune de ces saisines ne concernait une collectivité publique. Toutefois, les manquements et les avertissements donnés par l'AFA à l'issue de ces contrôles sont nombreux pour ne pas dire systématiques.

En outre, lors de ces contrôles l'AFA peut découvrir des crimes ou des délits qu'il lui appartient de dénoncer soit au procureur de la République ou même au parquet financier. Cette obligation de saisine les magistrats résulte des dispositions de l'article 43 du Code de procédure pénale mais le législateur l'a répété expressément dans l'article 3 comme pour souligner l'importance qu'il y accordait. Les contrôles de l'AFA sont donc des moments particulièrement sensibles auxquels il convient de bien se préparer.

Voici quelques conseils pratiques pour s'organiser face à de tels contrôles, sachant que le délai entre l'avis de contrôle et la venue des enquêteurs peut être extrêmement court.

1. L'organisation de la venue des enquêteurs

Il est recommandé d'établir une relation « professionnelle » et coopérative avec les enquêteurs pour le bon déroulement de l'enquête. En particulier, il convient de garder à l'esprit que les enquêteurs n'ont pas nécessairement une connaissance fine et approfondie des enjeux et problématiques du territoire et des secteurs d'intervention de la collectivité. Il appartient donc en pratique à la collectivité contrôlée d'en faire connaître les caractéristiques et spécificités permettant de mettre en évidence le fait que le dispositif de conformité mis en place est adapté à ses enjeux et à ses compétences.

Il est également préconisé de composer une équipe interne, constituée de membres et/ou conseils de la collectivité, qui sera en charge de l'enquête. Le nom des personnes composant cette équipe interne sera donné à toutes les personnes auditionnées pour toute question préalable ou postérieure à l'entretien. Cette équipe interne fera notamment un point quotidien sur le déroulement du contrôle (en ce compris les entretiens individuels intervenus dans la journée), afin notamment de suivre, contrôler et, le cas échéant, réorienter le processus en temps réel, et d'assurer une communication coordonnée et maîtrisée tout au long de ce dernier.

2. La transmission des documents

Il convient d'organiser avec les enquêteurs la méthode et la procédure de transmission des documents sollicités, et la gestion des désaccords sur la communication de certains documents.

En principe, les enquêteurs ne sont pas autorisés à demander la communication de documents sans rapport avec le périmètre de l'enquête, tant en ce qui concerne le secteur que la période de référence, laquelle ne peut être antérieure au 1er juin 2017, date d'entrée en vigueur des obligations de la loi Sapin II.

À cet égard, la commission des sanctions dans sa décision du 4 juillet 2019 a précisé que des documents antérieurs à l'entrée en vigueur de la loi ne pouvaient être demandés que « dès lors que ces documents et renseignements sont "utiles", ainsi qu'il est dit à l'article 4 de cette loi, notamment parce qu'ils sont de nature à permettre d'appréhender concrètement l'exposition de l'entité contrôlée aux risques de corruption et de trafic d'influence eu égard à la façon dont l'entité contrôlée a fait face dans le passé à l'exposition à ces risques ».

Ainsi, ne peuvent être sollicités, que les documents qui permettent d'attester de l'efficacité du dispositif de conformité mis en place.

Les enquêteurs ne peuvent pas non plus examiner et/ou copier des documents couverts par le secret professionnel. Selon l'AFA, qui refusait initialement de se voir opposer un tel secret, celui-ci ne concerne que les échanges avec les avocats dans le cadre d'une procédure contentieuse. Cette vision restrictive apparaît de prime abord contestable.

Dans la mesure où la commission des sanctions a refusé de se prononcer sur la pertinence des documents sollicités, il est clair que c'est au juge du délit d'entrave qu'il appartiendrait de statuer sur la licéité du refus de produire des documents ou de fournir des informations sollicitées par les contrôleurs de l'Agence.

Enfin, et autant que faire se peut, il convient d'établir un cadre global avec les enquêteurs permettant de considérer l'ensemble des documents comme étant confidentiels, afin, notamment, qu'ils ne soient pas divulgués à des tiers. Par exemple, il peut être préconisé de faire figurer sur tous les documents, ou au moins sur les plus sensibles, la mention « confidentiel ».

À cet égard, la question du recours par l'AFA à des experts, extérieurs à l'AFA, pose la question de la gestion des conflits d'intérêts au sein de ces structures externes quand bien même celles-ci sont soumises, par la loi, à une obligation de confidentialité. La communication des données relatives aux marchés ou aux contrats publics qui comportent le plus souvent des éléments relevant du secret des affaires devront donc être particulièrement surveillées.

3. L'accompagnement par un avocat

Le droit pour la collectivité contrôlée d'être assistée d'un avocat, notamment pendant les entretiens qui se déroulent à l'occasion du contrôle sur place, a donné lieu à de nombreux débats entre l'AFA et les entités objets des enquêtes depuis la première vague de contrôle.

Initialement, l'AFA précisait que les textes qui régissent sa procédure se limitent uniquement à prévoir la présence du conseil devant la commission des sanctions et à autoriser la possibilité pour le dirigeant de l'entité contrôlée de se faire assister par la personne de son choix pendant la phase de contrôle sur place. Aussi, certains enquêteurs refusaient-ils la présence d'un conseil aux côtés des autres personnes interrogées.

Mais, finalement, l'AFA, dans sa Charte des droits et devoirs des parties prenantes aux contrôles (www.agence-francaise-anticorruption.gouv.fr/files/2019-07/charte_droits_devoirs_unique%20controles.pdf (avr. 2019)) a déclaré aller au-delà des textes et ouvre désormais la possibilité aux personnes reçues en entretien d'être assistées de la ou des personne(s) de leur choix, avec l'accord du chef de l'équipe de contrôle, à condition toutefois que cela ne nuise pas à la confidentialité des échanges et à la qualité de l'entretien.

Cette assistance par un avocat paraît d'autant plus indispensable qu'aucun procès-verbal des entretiens n'est dressé par les agents de l'AFA, alors même que certains verbatim peuvent être utilisés comme fondement d'un constat de manquement.

Dans cette hypothèse, il convient de prévenir les enquêteurs qu'un avocat assistera aux entretiens, en précisant que celui-ci n'a pas pour mission de contrôler ce qui est dit par les personnes auditionnées, ni de répondre aux questions posées à leur place, mais de s'assurer que la procédure se déroule correctement.

4. La préparation des entretiens

Pour se préparer à l'entretien, les personnes interrogées pourront revoir les documents qui composent le dispositif de conformité mis en place (cartographie des risques, chartes éthiques, codes de conduite, dispositifs d'alerte, etc.) afin de répondre précisément aux questions posées.

Si certaines questions dépendent des fonctions et propos tenus par les personnes entendues, d'autres sont évidemment récurrentes, et il est recommandé de procéder à leur préparation.

Les questions ont vocation à tester la bonne connaissance des outils mis en place et l'appropriation par les agents, mais également par l'équipe dirigeante et par les élus, des principes éthiques, des notions de risques et des comportements à adopter en cas de survenance de ces situations.

Les personnes interrogées doivent être informées du nom des personnes qui vont les auditionner et éventuellement prévenues de la présence d'un avocat à leur côté.

5. Le déroulement des entretiens individuels

S'ils ne le font pas spontanément, la personne interrogée pourra demander aux enquêteurs de se présenter et de présenter le cadre de l'enquête.

En effet, il est important de souligner et de garder à l'esprit que les enquêteurs sont contraints par le champ de l'enquête (temporel et matériel) et le respect du secret professionnel. Il est donc important de cadrer l'entretien afin que les questions posées ne dépassent pas ce champ.

Il est important de ne pas faire preuve d'hostilité et ne pas faire obstruction aux enquêteurs. Il ne faut donc pas adopter une attitude de défense mais plutôt une attitude collaborative et positive envers le dispositif de lutte contre la corruption mis en place.

De manière générale, il convient de répondre aux questions par des réponses aussi précises et concises que possible. Les personnes interrogées ne doivent pas spéculer et se limiter à répondre aux questions posées. Si elles ne connaissent pas la réponse, elles doivent simplement l'indiquer.

Si certaines questions paraissent dépasser le champ de l'enquête ou même leur champ de compétence, il convient de le dire simplement aux enquêteurs. Il peut, par exemple, leur être demandé quel est le rapport entre la question posée et le champ de l'enquête, tel qu'exposé en préambule.

De manière générale, si une question n'est pas comprise, il ne faut pas hésiter à demander aux enquêteurs de la reformuler.

Il est préconisé de prévenir les personnes interrogées qu'elles ne doivent en aucun cas communiquer de nouveaux documents aux enquêteurs. Si un document est demandé par la personne réalisant l'audition, il faut lui répondre que ce document sera communiqué ultérieurement par l'équipe interne en charge du contrôle, qui conservera une traçabilité de tous les documents communiqués à l'AFA.

Les contrôles de l'AFA sont organisés sur des périodes relativement courtes et sont donc très intenses pour les collectivités contrôlées. La réunion de clôture marque la fin de la communication de nouveaux documents, il est donc nécessaire de préparer au mieux ces phases d'enquête afin d'être le plus réactif et le plus convaincant possible sur la pertinence des dispositifs mis en place.

La Semaine Juridique Administrations et Collectivités territoriales n° 6, 10 Février 2020, 2037