JOURNAL

Prévenir la corruption dans le BTP - L'AFA publie son premier guide sectoriel

Compliance

Yanisse Benrahou
LE JOURNAL

On February 18, 2022, the French Anti-Corruption Agency published a guide dedicated to construction and public works. This document is in line with the ambition of adapting its advices and lets us guess the policy of the Agency concerning the choice of a sector. Thus, the plurality of actors, both private and public, represented and their weight in the French economy justifies the drafting of a document dedicated to this sector.

AFA, guide pratique, La mise en place d'un dispositif de prévention des risques de corruption dans le secteur du Bâtiment et des Travaux Publics, févr. 2022

Note :

Le 18 février 2022, l'agence française anticorruption (AFA) a publié son premier guide sectoriel consacré aux bâtiments et travaux publics. Ce document s'inscrit dans la logique, déjà évoquéeNote 1 , visant à adapter les conseils du régulateur.

1. Construire une cartographie des risques dans le secteur du BTP

Les spécificités du secteur. - L'organisation du secteur des BTP induit de nombreuses interactions qui se traduisent par des relations contractuelles complexes impliquant notamment la maîtrise d'ouvrage, la co-traitance, la sous-traitance ou encore des groupements d'entreprises. Des risques de corruption existent en ce que la relation contractuelle entre le donneur d'ordre ou maître d'ouvrage et les entreprises implique des négociations qui peuvent inclure l'échange ou la promesse d'avantages indus. Les risques de corruption sont renforcés par la présence d'acteurs publics en charge de l'attribution d'autorisations ou de marchés publics.

La présence d'acheteurs publics ainsi que le rôle joué par des entreprises majeuresNote 2 qui interviennent sur toute la chaîne de valeur, créent des situations de dépendance économique qui favorisent encore les risques de corruption et de trafic d'influence.

En outre, l'évaluation du coût des projets présente la particularité d'être difficile à standardiser, ce qui complique l'identification d'éventuels actes de corruption. En effet, le constat d'écart importants entre les estimations initiales et le coût final des projets, notamment dans l'hypothèse de constructions d'envergure impliquant la personne publiqueNote 3 , est récurrent.

Par ailleurs, les litiges pouvant survenir au cours de la vie du projet sont aussi des vecteurs de corruption en ce que les acteurs, contraints de respecter des délais, peuvent être incités à solliciter les autorités pour une résolution rapide mais illégale des différends en échange de paiements de facilitationNote 4 .

L'adaptation de la cartographie des risques. - Au vu des spécificités du secteur du BTP, c'est l'étape relative à l'évaluation des risques bruts, la méthode de cartographie, qui pourra s'appuyer sur ce guide.

L'AFA commence par évoquer des scénarios de risques pouvant survenir au cours de la réalisation des projets. Il apparaît pertinent d'évoquer quelques-uns des exemples issus de précédents jurisprudentiels. Une attention particulière peut ainsi être portée sur les risques de communications d'informations privilégiées en marchés publics qui peuvent donner lieu à une condamnation pour corruptionNote 5 . Le versement de pots-de vins par un promoteur immobilier visant à obtenir la modification d'un permis de construire a aussi entraîné la qualification de corruptionNote 6 . La remise d'une somme d'argent donne également lieu à de la corruption lorsqu'elle bénéficie au gardien d'un logement HLM et vise à être tenu informé des besoins de travaux ou d'entretiens au sein de l'immeubleNote 7 . Enfin, la proposition de réintégrer un élu à une société d'aménagement touristique, de laquelle il avait été licencié, dans le but d'obtenir le renouvellement d'une concession d'exploitation entraîne la qualification de trafic d'influenceNote 8 .

Par ailleurs, l'AFA expose certaines des singularités, relatives aux critères sur lesquels se fondent l'évaluation des risques bruts, du secteur du BTP. Pour l'étude du critère relatif au personnel concerné, le contrôleur considère que les personnes chargées de produire des études ou des avis techniques, celles qui occupent des fonctions d'encadrement ainsi que celles chargées du suivi des commandes et des livraisons, présentent un risque plus important. Il en va de même des personnes en relation avec les acheteurs publics.

Concernant le critère relatif à la nature du tiers, il apparaît nécessaire de porter son attention sur les hypothèses de sous-traitance. L'AFA rappelle les règles du Code de la commande publique et conseille de se référer aux contrats types de sous-traitance pour le secteur du BTPNote 9 .

Enfin, concernant le critère du pays concerné par le projet, l'AFA recommande de lier l'évaluation aux différents classements internationaux relatifs au risque-pays en prenant les exemples de l'indice de perception de la corruption de Transparency Internationalou des rapports de suivi de l'OCDE. Il conviendra néanmoins d'être particulièrement vigilant quant à l'utilisation de ces classements dans l'hypothèse d'un maître d'œuvre devant respecter le droit de la commande publiqueNote 10 .

2. Adapter les piliers de la loi Sapin II au secteur du BTP

Prévenir les risques. - La mise en œuvre des obligations déontologiques et du code de conduite doit être adaptée au secteur du BTP. Dans cette optique, il convient de souligner que l'AFA suggère de ne pas recourir aux intermédiaires dans le secteur du BTP, ou du moins de conditionner ces recours à des procédures d'autorisation permettant d'enregistrer la relation, de l'encadrer par une convention contenant des clauses anticorruption et d'effectuer des contrôles sur les commissions versées. Au sujet du mécénat, le régulateur conseille de recourir à ces opérations en vérifiant préalablement que l'objectif poursuivi par le bénéficiaire est compatible avec les valeurs de l'entreprise. Enfin, l'AFA recommande de se doter de règles relatives au financement politique dans le but d'identifier les différentes réglementations et d'interdire la pratique même dans l'hypothèse où cela serait localement autorisé.

En matière de formation, l'AFA suggère d'inclure dans le dispositif, les collaborateurs en contact avec les donneurs d'ordre, les organismes de certification et les pouvoirs publics.

Le pilier relatif à l'évaluation des tiers apparaît particulièrement important du fait de la présence de nombreux acteurs. Cela est d'autant plus vrai que la grande majorité de ces acteurs échappe aux seuils de la loi Sapin II Note 11 . L'AFA conseille notamment d'inclure dans l'évaluation des tiers les maîtres d'œuvre (promoteurs, personnes publiques ou personnes privées), les fournisseurs, les sous-traitants et les intermédiaires. Les évaluations peuvent porter sur la nature du tiers, la catégorie de relation entretenue avec lui, la présence de personnes politiquement exposées et la dépendance économique.

Détecter les manquements. - L'alerte interne doit jouer un rôle primordial en matière de détection des manquements. Il convient d'étendre le numéro d'appel ou l'adresse électronique à l'ensemble des personnes participant à la réalisation des projets. Ce conseil de l'AFA est en cohérence avec les dispositions de la prochaine loi visant à améliorer la protection des lanceurs d'alerte qui devrait impliquer d'ouvrir le dispositif de recueil et de traitement des alertes aux personnes dont la relation de travail est terminée, aux collaborateurs extérieurs et occasionnels, aux cocontractants et à leurs sous-traitantsNote 12 .

Du côté des contrôles comptables, l'AFA indique que les lignes relatives aux coûts des matières premières, aux recours à des bureaux d'études, aux réclamations, litiges et contentieux, aux commissions ainsi qu'aux cadeaux et frais professionnels présentent un intérêt.

Enfin, concernant le contrôle et l'évaluation internes, il apparaît pertinent de comparer les quantités commandées à celles facturées. Dans la même logique, il convient de comparer les prix facturés avec les montants de commandes ainsi que de vérifier l'existence de différences entres les quantités facturées et celles livrées.

Mots clés : AFA. - Guide pratique. - Dispositif de prévention des risques de corruption. - Bâtiment et Travaux Publics

Note 1 V. F. Jourdan et Y. Benrahou, La mise à jour du logiciel de l'Agence française anticorruption : une aubaine pour les collectivités : JCP A 2021, 2079.

Note 2 Elles représentent 22 % de la valeur ajoutée, V. AFA, guide pratique, La mise en place d'un dispositif de prévention des risques de corruption dans le secteur du Bâtiment et des Travaux Publics, févr. 2022, p. 7.

Note 3 V. Sénat, rapp. d'information n° 733 (2013-2014), 16 juill. 2014, Les contrats de partenariats : des bombes à retardement ?.

Note 4 V. Network of Corruption Prevention Authorities (NCPA), recommandations pratiques, Comment faire face aux paiements de facilitation ?, 11 mai 2020.

Note 5 Cass. crim., 14 janv. 2015, n° 13-86.604.

Note 6 Cass. crim., 30 janv. 2019, n° 18-82.333 : JurisData n° 2019-001045.

Note 7 V. AFA, guide pratique, La mise en place d'un dispositif de prévention des risques de corruption dans le secteur du Bâtiment et des Travaux Publics, févr. 2022, p. 19.

Note 8 V. AFA, guide pratique, La mise en place d'un dispositif de prévention des risques de corruption dans le secteur du Bâtiment et des Travaux Publics, févr. 2022, p. 19.

Note 9 V. FFB, FNTP, CAPEB, CNSTP, EGF BTP, SNSO, SCOP BTP, Contrat de sous-traitance du BTP, éd. 2020.

Note 10 V. AFA et DEA, Guide de l'achat public « maîtriser le risque de corruption dans le cycle de l'achat public », juin 2020.

Note 11 Au sein du secteur du BTP, les TPE, PME et artisans représentent 71 % des emplois et 66 % de la valeur ajoutée.

Note 12 V. Y. Benrahou, Protection des lanceurs d'alerte : le texte définitivement adopté et le Conseil constitutionnel saisi : JCP A 2022, act. 185.

Revue Internationale de la Compliance et de l'Éthique des Affaires n° 2, Avril 2022, comm. 89